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A des attaques nouvelles, il comprit qu’il fallait répondre par des moyens nouveaux. Liberté de la presse, liberté d’enseignement, — et généralement toutes les formes que peut prendre la liberté de penser, de parler ou d’écrire, — puisque les adversaires de la religion en usaient, il fallait que, comme eux, ses défenseurs apprissent à s’en servir. Ce n’était pas assez que le prêtre se contentât de prêcher dans sa chaire la morale ou le dogme, et encore moins d’être inscrit au budget ; mais il fallait qu’il descendît des hauteurs paisibles où il affectait de se tenir, qu’il eût, comme citoyen et comme chrétien, sa politique, et, pour tout dire enfin, qu’il parût dans la place publique. C’est ce que fit Lamennais, dans les livres fameux sur la Religion dans ses rapports avec l’ordre civil, sur les Progrès de la révolution et de la guerre contre l’Église, et surtout par la fondation du journal l’Avenir et la constitution de l’Agence catholique.

Ce qu’il voulait, où il tendait par là, il nous l’a dit lui-même : à ruiner le gallicanisme, et, en le ruinant, à dégager la religion même de « l’édifice politique » où il la trouvait comme emprisonnée. « On doit peu s’étonner des progrès du libéralisme, écrivait-il de La Chênaie, le 16 juillet 1830, à l’abbé de Hercé, c’est la marche naturelle des choses, et dans les desseins de la Providence, la préparation au salut, je le crois du moins. La religion, emprisonnée dans le vieil édifice politique, véritable cachot de l’Église, ne reprendra son ascendant qu’en recouvrant sa liberté, et c’est là le service que ses ennemis, instrumens aveugles d’une puissance qu’ils méconnaissent, ont reçu d’en haut l’ordre de lui rendre. Tout se prépare pour une grande époque de restauration sociale, mais qui devra, comme il arrive toujours, être achetée par beaucoup de travaux, de souffrances et de sacrifices. Pour nous, qui ne serons plus là quand elle s’accomplira, saluons de loin cette espérance, comme les prophètes celle du Messie, et supplions Dieu de répandre, parmi les catholiques et le clergé surtout, les lumières qu’exige sa position présente, et que tant d’hommes d’ailleurs estimables ne savent pas même encore désirer. »

Si j’ai cité cette lettre, c’est qu’elle est inédite, et à ce propos je ne sais ce qui me retient d’en revenir à l’éternelle question : que trouvera-t-on bien qu’elle ajoute à ce que nous connaissions déjà de Lamennais ? Peu de chose, assurément, et dans sa Correspondance déjà publiée, il y en a vingt autres où il exprime les mêmes idées. Telle est la lettre à M. de Senfft, datée du 18 avril 1831 :

« Pour moi, je crois profondément à une transformation universelle de la société sous l’action du catholicisme qui, affranchi et ranimé, reprendra sa force expansive et accomplira ses destinées en s’assimilant les peuples qui ont résisté jusqu’ici à son action ; tout se prépare pour cela, et la politique européenne n’a été et n’est encore que