se tue à se démentir et qu’il se dément à recevoir une interprétation nouvelle. Ce sont les deux affirmations précédentes que Ballanche essaie d’ébranler et d’atténuer. D’abord, selon lui, le christianisme est déjà démocratique en son principe et en son commencement historique. Aristocratique par rapport à nous, peut-être, il est extrêmement démocratique par rapport à ce qui l’a précédé. Il y a un lait moral immense dans l’antiquité, et dont l’éloignement seul nous dissimule ou nous fait oublier à quel point il est considérable ; c’est que la religion était une propriété aristocratique, un domaine patricien. Plébéiens et patriciens n’avaient pas les mêmes dieux, n’avaient pas de dieux communs. Initiation, sans doute ; il y avait initiation ; il y a toujours eu initiation, mais initiation partielle en quelque sorte, et initiation à distance respectueuse. Le prêtre, le patricien sacerdotal antique ne communique pas son dieu à la ioule, il le lui montre. Il n’adore pas son dieu avec la foule, il le lui fait adorer. La religion est possession pour lui, pour le peuple aspiration et désir, en sorte que le peuple est, à l’égard de la religion, partagé entre le bonheur d’y être appelé et le regret et l’humiliation d’en être exclu : « La multitude était sous le poids d’une excommunication religieuse… Les vaincus perdaient leurs dieux. » — Le christianisme a établi un Dieu universel, un Dieu qui ne connaît ni vaincus ni vainqueurs, ni plébéiens ni patriciens, ni riches ni pauvres ; la religion est patrimoine commun. Cela n’est pas autre chose qu’un nouveau droit introduit dans le monde, qu’une conception nouvelle de l’humanité. « Par cela seul qu’il a donné à tous le même Dieu, le christianisme a fondé un nouveau droit des gens. » Et ce droit des gens est démocratique en son essence. Il n’admet la conquête qu’à la condition qu’on respecte la religion du peuple vaincu, si le peuple vaincu est chrétien ; qu’on fasse chrétien le peuple vaincu si le peuple vaincu est hors la foi. En d’autres termes, la conquête, qui autrefois ôtait au vaincu ses dieux, maintenant, ou leur laisse Dieu, ou leur donne le Dieu qui ne s’en va pas, et qui fait le vaincu spirituellement égal au vainqueur. Dans les deux cas, elle ne frappe que les corps et laisse libres ou rend libres les âmes. D’autre part ; à l’intérieur de l’État, le christianisme est démocratique en ce qu’il abolit le patriciat théocratique. La religion n’est plus possession du prêtre, parce qu’elle n’est plus possession héréditaire du prêtre. Il n’y a de vraie propriété que la propriété qui se transmet de père en fils ; une chose n’est à vous que si vous la pouvez donner ; de ce que vous possédez sans l’avoir hérité et sans pouvoir le transmettre, vous n’avez que l’usufruit. Le sacerdoce est une fonction, il n’est plus une propriété, d’où il suit qu’il n’y a plus de caste sacerdotale que par un abus de mot
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