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Alberoni
et
correspondance avec le Comte Rocca
ministre des finances du Duc de Parme


Un jour à Blenheim, Voltaire supplia la duchesse de Marlborough de lui montrer ses mémoires ; elle lui répondit : « Attendez quelque temps ; je suis occupée actuellement à réformer le caractère de la reine Anne ; je me suis remise à l’aimer depuis que ces gens-ci gouvernent. » En réformant dans ses mémoires le caractère de la reine Anne, la duchesse ne s’inspirait que de ses goûts et de ses dégoûts. Les historiens qui se servent de documens inédits pour réhabiliter ou pour rabaisser tel personnage célèbre ne s’inspirent souvent que de l’amour de la vérité ; mais quelquefois aussi ils cèdent trop à l’amour du neuf et au désir de combattre les idées reçues. S’il est bon de réviser sans cesse les jugemens tout faits, les opinions admises et courantes, encore faut-il s’y prendre avec beaucoup de mesure et de circonspection, car il y a souvent du vrai dans les préjugés. Les historiens qui ont pris à tâche de réhabiliter Tibère ont eu raison de dire que Tacite l’avait plus d’une fois calomnié, que ce grand historien s’était fait l’interprète des ressentimens de l’aristocratie romaine humiliée par les Césars et dépossédée de ses privilèges, que Tibère fut un grand administrateur, qu’il sut défendre les provinces contre les agens du pouvoir et les concussionnaires, que les peuples ont eu plus à se louer qu’à se plaindre