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AUX MONTAGNES DIVINES.


Geminus servus
Et pro suis conservis.

Glaciers bleus, pics de marbre et d’ardoise, granits,
Moraines dont le vent, du Néthou jusqu’à Bègle,
Arrache, brûle et tord le froment et le seigle,
Cols abrupts, lacs, forêts pleines d’ombre et de nids !

Antres sourds, noirs vallons que les anciens bannis,
Plutôt que de ployer sous la servile règle,
Hantèrent avec l’ours, le loup, l’isard et l’aigle,
Précipices, torrens, gouffres, soyez bénis !

Ayant fui l’ergastule et le dur municipe,
L’esclave Geminus a dédié ce cippe
Aux Monts, gardiens sacrés de l’âpre liberté ;

Et sur ces sommets clairs où le silence vibre,
Dans l’air inviolable, immense et pur jeté,
Je crois entendre encor le cri d’un homme libre !


L’ESTOC.


Inventaire du Trésor de l’Alcazar de Ségovie.

Au pommeau de l’épée, on lit : Calixte Pape.
La tiare, les clés, la barque et le tramail
Blasonnent, en reliefs d’un somptueux travail,
Le Bœuf héréditaire armoyé sur la chappe.

A la fusée, un dieu païen, Faune ou Priape,
Rit, engaîné d’un lierre à graines de corail ;
Et l’éclat du métal s’exalte sous l’émail
Si clair, que l’estoc brille encor plus qu’il ne frappe.

Maître Antonio Perez de Las Cellas forgea
Ce bâton pastoral pour le premier Borja,
Comme s’il pressentait sa fameuse lignée ;

Et ce glaive dit mieux qu’Arioste ou Sannazar,
Par l’acier de sa lame et l’or de sa poignée,
Le pontife Alexandre et le prince César.