voulait être et devenait peu à peu en effet un homme qui a une volonté, qui se marie légalement et solennellement, qui a une famille, qui a une dignité et un honneur personnels, qui a une dignité et un honneur de famille, qui a une dignité et des honneurs sociaux. Désormais il est homme, désormais aussi il est responsable : « La responsabilité est une promotion ; » toute promotion, aussi, augmente la responsabilité, crée une responsabilité nouvelle. Le plébéianisme, c’est l’humanité qui a subi l’épreuve, qui mérite l’émancipation, qui s’initie, qui veut être. La démocratie, c’est l’humanité qui a subi l’épreuve, qui a mérité l’émancipation, qui s’est initiée, qui s’est instruite, qui a voulu être, qui est ; mais qui, aussi, est responsable, a des devoirs, puisqu’elle a des droits, a tout entière à l’égard d’elle tout entière les devoirs d’initiation que l’aristocratie avait jadis à l’égard du plébéianisme. Car l’initiation est éternelle et ne change que de forme. Si elle cessait, la barbarie reprendrait ses droits, et le cycle que nous connaissons devrait être parcouru à nouveau. L’initiation allait autrefois de haut en bas ; elle doit maintenant rayonner dans tous les sens, de mille centres à mille circonférences. De patriarcale, elle doit devenir fraternelle, et être mutuelle au lieu d’être magistrale. — C’est pour cela, remarquez-le, car tout est providentiel, que de nos jours il y a moins de génies et plus de talens. Il y a une vulgarisation de la science et du mérite, comme il y a une vulgarisation de la responsabilité, de l’imputabilité, de la personnalité sociale : — « Moins d’hommes ont des facultés immenses, parce que plus d’hommes ont des facultés dont ils peuvent user. » — L’intelligence humaine elle-même devient peuple. Il y a une démocratie de la gloire : « La renommée n’a point assez de places pour tous ceux qui sont appelés à ses solennités. » — Le dessein providentiel est accompli. Le christianisme a créé l’égalité morale entre les hommes, la démocratie, suite naturelle et providentielle du christianisme, deuxième pas décisif dans le progrès, deuxième solution de l’initiation progressive, a créé une sorte d’égalité intellectuelle, en ce sens que ce ne sont plus des multitudes qui vivent de la science et s’appuient sur la conscience de quelques-uns, mais tous qui vivent de la science acquise par tous et que tous continuent d’acquérir, et tous qui se sentent animés et soutenus, et obligés aussi, par une conscience universelle. À la vérité, cette période où nous sommes est encore une période de transition. Elle a ceci de remarquable, qui, du reste, doit avoir été toujours observé à chaque époque de renouvellement social un peu brusque, que les mœurs sont en retard sur les opinions. Les mœurs sont traditionnelles, les idées sont novatrices et créatrices à leur tour de nouvelles mœurs. Il arrive, dans les
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