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cimetières de l’âge du bronze, dans le bassin du Danube, avaient livrés depuis quelques années. « Si, me disait-il, on m’avait présenté ces photographies des disques et autres produits de l’orfèvrerie mycénienne sans me donner aucune indication de provenance, j’aurais déclaré que tout cela avait dû être trouvé en Hongrie, non loin de Buda-Pesth. » La remarque était juste, et l’on aurait aimé à entendre un aussi fin connaisseur développer cette comparaison ; mais Longpérier se déroba, avec cette malice souriante que n’ont pas oubliée tous ses anciens confrères, à toutes les tentatives qui furent faites pour l’amener à prendre la parole. Il n’y voyait pas encore clair, et, jaloux de sa réputation d’oracle infaillible, il ne se souciait pas d’avoir à désavouer plus tard une opinion trop vite exprimée ; il aimait mieux laisser d’autres savans, plus hardis, courir ce risque, et, comme l’on dit, essuyer les plâtres.

Si tous les archéologues s’étaient renfermés dans cette abstention discrète, la question n’aurait pas avancé d’un pas. Il y a toujours, par bonheur, dans nos rangs, des esprits aventureux et affirmatifs qui, sans beaucoup craindre de se tromper, se plaisent à aller de l’avant. Quelquefois ils font d’heureuses rencontres ; d’ailleurs, par les contradictions qu’elles provoquent, leurs méprises mêmes servent la science. Tel était jadis, en France, Saulcy, qui a soutenu intrépidement tant d’hérésies, mais qui a ouvert tant de voies à l’étude ; tel est aujourd’hui, en Angleterre, Henry Sayce. Avec plus de mesure, l’illustre doyen des archéologues allemands, Ernest Curtius, a aussi quelque chose de ce tempérament ; il n’a jamais eu peur des hypothèses. Il fut donc l’un des premiers à donner son avis ; il opina qu’un certain nombre de ces objets, loin d’appartenir à une haute antiquité, ne dataient peut-être que de l’époque byzantine. Un peu plus tard, M. Murray, aujourd’hui conservateur des antiquités grecques et romaines au Musée britannique, se demandait si l’on n’avait pas là, dans le mobilier des tombes, des ouvrages dus aux artisans d’une tribu germanique qui se serait établie dans l’acropole de Mycènes[1] ; elle y aurait vécu pendant quelque temps, et y aurait enterré, avec les corps de ses rois, des objets dont les similaires ne se retrouvent qu’en Scandinavie et dans le bassin du Danube, à Hallstadt. Il est inutile d’insister sur

  1. Academy, 15 décembre 1877. M. Murray est revenu sur son idée et l’a encore maintenue dans un article de la Revue appelée Nineteenth century, en 1879. Il a fini par y renoncer, après les fouilles de Tirynthe ; mais maintenant même il n’est pas tout à fait d’accord avec la plupart des savans qui s’occupent de ces questions ; il incline à rajeunir la civilisation mycénienne, à la beaucoup rapprocher de l’époque d’Homère.