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invention utile ne s’est plus perdue. Grâce aux comparaisons qui ont été instituées par une critique minutieuse et pénétrante, on a compris quelle étroite solidarité s’établit entre tous ces groupes, ouvriers intelligens et laborieux dont chacun a bien rempli sa journée, créateurs simultanés ou successifs du patrimoine de théories scientifiques, de pratiques industrielles et de formes d’art que le monde ancien, en mourant, a légué au monde moderne. Celui-ci, surtout depuis la renaissance, s’est sans doute emparé, avec une puissance bien autrement impérieuse, de la direction des forces de la nature ; mais le point de départ des progrès récemment accomplis n’en est pas moins dans le travail et dans l’œuvre collective de ces ancêtres lointains dont les titres à notre reconnaissance n’avaient pas été, jusqu’à ces derniers temps, proclamés avec une assez pieuse gratitude.

Ce qui a le plus frappé la foule, dans les travaux des fouilleurs et des érudits contemporains, c’est ce que l’on peut appeler la découverte de l’Orient. Les esprits cultivés ont éprouvé comme une sorte d’éblouissement lorsque les Champollion et les Mariette, les Rougé et les Maspero, pour l’Egypte, les Botta et les Layard, les Rawlinson, les Oppert et les Sarzec, pour la Chaldée et l’Assyrie, leur ont rendu, en quelques années, de quarante à cinquante siècles d’histoire documentée, d’une histoire qui se laisse restituer, en partie tout au moins, avec des textes contemporains des princes dont les actions y sont racontées. Quant à la Grèce et aux fouilles qui s’y exécutaient, il ne semblait pas qu’il y eût rien de pareil à en attendre. Les premières trouvailles qui s’y étaient faites, depuis le rapt de lord Elgin jusqu’au déblaiement du mausolée d’Halicarnasse, avaient beaucoup ajouté à ce que l’on savait de l’art grec et de la variété infinie de ses types, des caractères qu’il a présentés dans les principales phases de son développement et de la marche qu’il a suivie depuis ses premiers essais jusqu’au moment où il atteignit la perfection. Les monumens qu’elles ont mis au jour auraient émerveillé Winckelmann, auquel il ne fut pas donné de connaître les types les plus nobles et les plus purs qu’ait créés la sculpture hellénique, dont il saluait le chef-d’œuvre dans l’Apollon du Belvédère ; ils auraient beaucoup appris à Ottfried Müller lui-même, qui publia son Manuel de l’archéologie de l’art, ce livre qui rend encore aujourd’hui tant de services, soixante-six ans après qu’avait paru l’œuvre capitale dont les archéologues allemands se remémorent l’importance en célébrant, chaque année, le 9 décembre, la fête de Winckelmann[1]. Cependant, si ces acquisitions

  1. Geschichte der Kunst des Alterthums, 1764.