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dangers bien autrement sérieux menacent l’avenir du canal Saint-Louis, dont le présent est déjà assez pitoyable. Le promontoire du Grand-Rhône s’avance toujours en se maintenant sur le même axe ; il se trouve ainsi directement exposé au choc de la mer.

« Dans ces conditions, les troubles charriés par le fleuve sont arrêtés et rebroussés presque sur place, et les atterrissemens qu’ils produisent sont distribués des deux côtés de l’embouchure. La plus grande partie de ces troubles est emportée, sans doute, par le courant littoral de l’est à l’ouest et va nourrir la base du delta et augmenter la largeur des plages désertes de la Camargue, mais une assez grande quantité est refoulée à l’est dans le golfe même de Fos. Ce golfe tend donc à s’ensabler, et, quoi qu’on ait pu dire à ce sujet, le doute n’est malheureusement plus permis aujourd’hui. »

En 1889, M. Guérard, ingénieur en chef du service maritime, renouvelait cette prédiction dans les termes suivans : « Le golfe de Fos est envahi par les dépôts du Rhône, le port de Saint-Louis est menacé. »

À ces causes d’infériorité physique, pour ainsi parler, s’en ajoute une autre non moins grave, bien qu’elle soit d’un ordre différent. En dépit de tout, Marseille est et restera longtemps encore le grand foyer d’attraction du littoral français de la Méditerranée. Un centre commercial ne s’improvise pas… Il a fallu vingt-six siècles de travail, d’efforts, de persévérance pour créer Marseille, pour y installer cet ensemble d’établissemens maritimes, industriels et financiers, ces docks, entrepôts, bassins de radoub, ateliers de constructions et de réparations, pour y attirer et y fixer les nombreuses industries et les capitaux nécessaires à ce qui constitue un centre commercial offrant pleine sécurité. C’est là que les lignes de paquebots aboutissent, que se nouent les transactions, que viennent forcément converger les affaires.

Le problème serait donc résolu de la façon la plus complète et la plus heureuse, si les penelles pouvaient pénétrer dans le port de Marseille et, bord à bord avec les steamers, échanger denrées et matières premières contre le fret de sortie qui nous fait de plus en plus défaut et que fourniraient en abondance la houille, la chaux, les pierres, le fer, la fonte et les vins. Elles enlèveraient, en outre, les produits manufacturés qui se fabriquent à Marseille. Car il est bon de signaler ici un fait que l’on s’obstine à ignorer ; c’est que Marseille a eu la sage prévoyance de se convertir en ville au moins aussi industrielle que commerciale.

Ce dernier et décisif progrès assurerait l’entière efficacité des efforts qui ont été faits durant ces dix dernières années pour