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marchandises qui, transportées ensuite jusqu’à la Seine, en suivaient le cours et passaient de là en Angleterre. Pour revenir à une époque plus moderne, Vauban, en 1679, soutenait la même thèse ; mais il ajoutait que les embouchures du Rhône sont et seront toujours incorrigibles. Cette opinion, confirmée dans la suite par le célèbre ingénieur Bélidor, n’est que trop justifiée. Aussi pensa-t-on à tourner cette difficulté en remplaçant les bras du fleuve par un canal.

En 1802, fut commencée la construction d’une voie navigable à petite section de 47 kilomètres de longueur reliant Arles à Port-de-Bouc. Cet ouvrage, terminé seulement en 1835, ne pouvait donner aucun résultat pratique, et son trafic ne dépasse pas aujourd’hui 65,000 à 70,000 tonnes. L’exécution du projet avait coûté 15 millions.

Une autre tentative fut faite en 1865 ; il s’agissait d’éviter les barres de l’embouchure et d’ouvrir l’accès direct du Rhône aux navires d’un fort tonnage. On creusa dans ce dessein une large dérivation mettant le port Saint-Louis en communication immédiate avec la mer. L’État consacra une vingtaine de millions à cette entreprise.

Les promoteurs de ce second projet, dont la complète réalisation date de 1870, nourrissaient de vastes ambitions ; ils rêvaient de faire de Saint-Louis du Rhône un centre industriel de premier ordre. « Marseille, disaient-ils, sera la grande place par excellence, et Saint-Louis, la grande, l’infatigable usine. » Les faits n’ont point répondu à ces espérances. Le nombre des établissemens fondés au port Saint-Louis est fort restreint. L’agglomération elle-même est à l’état embryonnaire, et l’on a peine à s’imaginer que la situation puisse se modifier sensiblement et avec quelque rapidité. En voici les raisons.

Saint-Louis est entouré de terres incultes, marécageuses et malsaines. Il suffit de rappeler à ce propos que les travaux du canal ont coûté la vie à de nombreux ouvriers et qu’en 1872 la mission hydrographique chargée de réviser le tracé des côtes méridionales de la France dut quitter ces parages au bout de quelques mois et fuir devant la fièvre qui avait frappé vingt hommes sur trente que comprenait l’équipage.

Puis, Saint-Louis du Rhône est situé sur le golfe de Fos, et si les eaux de cette rade atteignent encore 7 à 9 mètres de profondeur, il est fort à craindre qu’il n’en soit pas longtemps ainsi. M. l’ingénieur Lenthéric, dans sa savante étude sur le Bas-Rhône, qu’a publiée la Revue[1], s’exprimait ainsi : « Toutefois, des

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1881.