Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant que, du haut des chaires officielles, certains docteurs prêchent à nos enfans l’adoration de la patrie érigée en divinité unique, des voix d’en bas, qui vont grossissant, prêchent aux masses la négation de la patrie. Le siècle, qui avait bruyamment proclamé le principe national, n’est pas encore à sa fin que déjà l’idée nationale, dans ce qu’elle a plus légitime, se trouve, à son tour, mise en question. Il se dresse contre elle, des bas-fonds de notre société, un adversaire plus redoutable que le vague cosmopolitisme philosophique du XVIIIe siècle. Tandis que d’aveugles et sourdes sentinelles appellent aux armes contre l’ultramontain ou contre le sémite, un ennemi autrement dangereux s’est glissé à travers nos frontières, menaçant de déployer sur nos capitales le rouge drapeau du cosmopolitisme ouvrier. L’ennemi des nationalités modernes, celui qui déjà forme partout un État dans l’État et qui, plus ambitieux que Charles-Quint ou Napoléon, prétend à l’empire universel, nous savons son nom, nous le voyons à l’œuvre, c’est le socialisme révolutionnaire. Au patriotisme national et à la solidarité religieuse, il entend substituer la communauté des jalousies et la solidarité des convoitises. À cet internationalisme, le seul à craindre aujourd’hui, ce n’est pas la confraternité juive ou chrétienne qui fraiera la voie. Tout au rebours, par cela seul qu’elles nouent entre les hommes des liens indépendans des intérêts de classes, les religions, en dehors même de leur dogme et de leur morale, font obstacle au triomphe de l’internationalisme révolutionnaire. Pour vaincre, il faut qu’il passe sur le corps de la religion, aussi bien que sur le corps de la patrie. Il le sait bien, et c’est une des raisons pour lesquelles l’idée religieuse lui est aussi antipathique que l’idée nationale.

Soyons de notre temps ; ne prenons pas pour des êtres vivans les fantômes d’imaginations attardées. Les nations modernes courent-elles un péril, ce n’est point du côté des religions, ni du moine catholique, ni du pasteur réformé, ni du rabbin israélite. Il est loin, le temps où huguenots et ligueurs appelaient, sur la terre française, les reîtres allemands et les tercieros espagnols. Quant au Juif, à ce muet souffre-douleurs du passé, quel étranger est jamais accouru à sa défense ? Il faut la rancuneuse mémoire du Castillan pour lui reprocher les villes du roi Rodrigue, ouvertes aux Arabes de Tarik.

Si, par son éducation ou par ses origines, le Juif semble enclin au cosmopolitisme, cela le rend plus apte à servir de trait d’union entre les peuples, ainsi que ses pères de l’antiquité alexandrine et du moyen âge arabe. À une époque, demande un Juif d’Occident, où tant d’élémens contribuent à diviser les peuples, est-il mauvais