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tantôt, comme la Palingénésie sociale, des dissertations proprement dites, où l’auteur parle en son nom. Le dessein est toujours le même : retrouver la philosophie de l’histoire pour éclairer les hommes de notre temps sur la voie où ils sont et le point vers lequel ils tendent ; trouver le secret de la marche de l’humanité pour enseigner au siècle son dessein et sa démarche. La méthode est toujours ou presque toujours la même ; interroger les mythes, interpréter les traditions poétiques, considérées comme le dépôt de la conscience de l’humanité, dépouiller les symboles et leur arracher leur secret, c’est-à-dire leur faire dire ce que l’on souhaite qu’ils disent en effet. Cette méthode, pour nous en occuper d’abord, c’était l’esprit, même de Ballanche. Il vivait dans le symbolisme comme dans son élément propre. Il pensait lui-même par symboles, et ses poésies, Antigone, Orphée, Hébal, sont des paraboles. De plus, il courait au symbole partout où il le flairait, comme à sa proie. Il l’interprétait avec une sorte d’ivresse là où il était. Il l’inventait là où, très probablement, il n’était pas. Il dépasse Vico dans l’art de trouver des lumières et de longues avenues là où il n’y a probablement que des cas fortuits et insignifians. Remarquez-vous Sons et Insons ? Il faut remarquer cela. C’est une révélation. Sons est le simple et le primitif, Insons est le composé et le postérieur. Cela prouve le péché originel. — Tirésias a été successivement homme et femme. Cela veut dire qu’il a connu les lois et les conditions des différentes classes. Car, dans toute l’antiquité, la femme étant tenue pour inférieure et mineure, les classes inférieures sont assimilées aux femmes. On les appelle mulieres. L’enlèvement des Sabines n’est pas autre chose que le rapt, fait par les Romulides dans la campagne romaine, d’hommes désarmés qui devenaient esclaves et donnèrent naissance à toute la classe des plébéiens. — On remarquera aussi l’importance de la figue. Il doit y avoir dans l’idée de la figue un mythe perdu dont il importerait de retrouver le sens. Certains chants Scandinaves font l’éloge de la figue, et « il ne faut pas trop mépriser cette petite induction ; l’on sait combien les Athéniens furent jaloux des figues que produisait l’Attique. » — De vues quelquefois ingénieuses, encore que toujours aventureuses, à de véritables puérilités, il va ainsi, guettant les vieilles fables et les interprétant à sa guise, prenant à la pipée les vieux mots et leur attribuant des sens inattendus, symbolisant à outrance, entrelaçant et brochant mythes sur symboles et symboles sur mythes, et prodigieusement à l’aise, et souverainement convaincu au milieu de tout cela. C’est un oracle. Il est né pythie. Il en a l’obscurité, la subtilité et l’assurance. Il ne fût pas descendu seulement dans l’antre de Trophonius ; il y