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calendrier judaïque et de fêter dans leurs synagogues le commencement de l’année juive, Rosch Haschanah, vers l’équinoxe de septembre ? Mais chez nous-mêmes, chrétiens et catholiques, l’année liturgique ne concorde pas avec l’année civile, et l’on ne voit point quel dommage en souffrent les relations sociales. Les rabbins ont bien aussi gardé l’antique ère talmudique ; mais que nous importe que les livres de la Synagogue continuent à supputer les années depuis la création du monde ? Les Juifs n’en datent pas moins, comme nous, leurs lettres, et leurs factures, de l’ère vulgaire, c’est-à-dire de l’ère chrétienne. Je sais bon nombre d’entre eux qui seraient en peine de nous dire en quelle année de la création nous nous trouvons, si le mois de Sivan précède ou suit Tamouz, et si l’an 5654 commence ou finit en 1893.

Les faits parlent clairement. Partout où les lois ou les mœurs ne le leur interdisent point, les Juifs cherchent à se nationaliser ; la plupart écartent avec soin tout ce qui semblait faire d’eux un peuple à part. Là même où il y a en présence plusieurs nationalités, ils tendent à se confondre avec l’une d’elles, le plus souvent, avec celle qui a le plus de racines dans le pays. Ils ne cherchent pas seulement à se montrer Français en France, Allemands en Allemagne, Anglais en Angleterre, Américains aux États-Unis : ils s’efforcent, ce qui est plus méritoire, de se montrer Polonais en Pologne, Danois en Danemark, Hongrois en Hongrie, Tchèques en Bohême, Bulgares en Bulgarie. Les Allemands de Prague leur ont ainsi reproché de faire cause commune, en Bohême, avec les Slaves de la couronne de saint Wenceslas. Les Juifs ne conservent le caractère et l’attitude d’un peuple, ils ne se regardent comme une nationalité, que là où ils vivent en masses compactes au milieu de nationalités diverses ; là surtout où les lois de l’État, comme en Russie et en Roumanie, leur interdisent de se fondre avec les indigènes et de se considérer comme Russes ou Romains. Aujourd’hui, non moins qu’au moyen âge, et dans l’Orient de l’Europe, comme autrefois en Occident, le particularisme juif est ainsi entretenu par la législation contre les Juifs. Selon un mot de Léon Tolstoï, le Juif, devant les menaces du dehors, se replie sur lui-même et rentre dans la coquille de son exclusivisme.


IV

Ce travail d’assimilation par la langue, par le costume, par les mœurs se poursuit partout en même temps, sans être également avancé chez tous les peuples, ni même être poussé aussi loin pour tous les Juifs du même pays. Quel est, de tous les États des deux mondes, celui où cette nationalisation du Juif est la plus complète ?