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« Mieux vaut pour toi retourner mourir auprès du pape que de t’en aller vivre avec le Grand Turc, » dit à l’artiste le bon gonfaloniere. Déjà quelque temps auparavant, il lui avait déclaré qu’il en avait agi avec sa sainteté « comme n’aurait pas osé le faire le roi de France lui-même. Trêve aux pourparlers et prières ; nous ne ferons pas la guerre au pape à cause de toi, ni ne compromettrons le salut de la république : prépare-toi à revenir à Rome… » Sur de nouvelles insistances de Jules II, datées cette fois de l’antique Felsina, Buonarroti cède à la fin et part pour Bologne, « la corde au cou, » ainsi qu’il devait s’exprimer vingt ans après encore dans sa curieuse lettre à Fattucci.

Il arrive à Bologne dans les premiers jours de décembre 1506, et va entendre la messe à l’église San-Petronio. Il y est reconnu par un serviteur du pape qui l’emmène aussitôt devant le maître, désireux de le voir sans retard. Jules II est à table dans le palais des Bentivogli, l’un des plus beaux palais de l’Italie d’alors. Toute la cour assiste au repas du pontife, a Tu as tardé bien longtemps, et il nous a fallu venir à ta rencontre ! » s’écrie le vieillard courroucé à la vue du fugitif. Celui-ci se met à genoux et plaide sa cause : il n’a pas mérité le traitement de la semaine des Pâques. Un des courtisans parmi l’assistance, un prélat, croit devoir venir au secours du coupable : il faut être indulgent pour cette race d’artistes qui ne comprend rien en dehors du métier et manque souvent d’usage… « Comment oses-tu, fulmine Jules II, dire de cet homme des choses que je ne me serais pas permis de dire, moi ? C’est toi qui es un malappris ; va-t’en au diable ! » Sous le coup de cette apostrophe, le malheureux prélat se trouble, chancelle, est conduit hors la salle par les domestiques, et le pape, en signe de pardon, donne au sculpteur la bénédiction apostolique… Ne trouvez-vous pas que le tableau est complet ?

La réconciliation est maintenant faite et parfaite entre les deux hommes « terribles, » et, comme aux beaux jours de Rome, le pape, à Bologne, rend des visites fréquentes à l’artiste dans son atelier derrière la cathédrale : car déjà il l’a attelé à la besogne. Il n’est pas question du fameux monument mortuaire, détrompez-vous ; il s’agit d’un monument tout nouveau, d’une statue de Jules II qui serait placée en haut de la façade de San-Petronio pour célébrer le recouvrement de Bologne par le saint-siège. Ce sera un