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d’exécuter sans plus de délai. La tour, bien qu’incomplète, domine et écrase la basilique, l’atrium, la terrasse et la place : la terra christiana tutta aduggia[1] La construction inaugurée par Bramante n’a cessé, tout un siècle durant, d’envelopper l’église du pape Sylvestre lentement, graduellement, de ses formidables piliers ; déjà les chapelles et les édifices adjacens ont été rasés depuis longtemps ; dans vingt-cinq ans d’ici le dernier coup sera porté, et l’atrium croulera sous la pioche de Maderna. Ceci tuera cela.


III. — LA STATUE DE BOLOGNE (1506-1507).

Le 26 août 1506, quatre mois après avoir posé la première pierre de la nouvelle basilique du Vatican, Jules II sortait de Rome à la tête de ses troupes et commençait sa carrière de conquérant : « délaissant, — comme s’exprimera bientôt le chroniqueur français contemporain, — la chaire de saint Pierre pour prendre le titre de Mars, dieu des batailles, desployer aux champs les trois couronnes, et dormir en eschauguette ; et Dieu sait comment ses mitres, croix et crosses estoient belles à veoir parmy les champs… »

Le succès de cette première campagne ou « croisade, » — comme il l’a appelée lui-même, parlant à Machiavel, — est rapide, foudroyant. Giampolo Baglione, le tyran sanguinaire de Pérouse, qui n’a jamais reculé devant aucun danger ni aucun crime, prend peur subitement, court au-devant du pape à Orvieto, lui livre sa ville fortifiée et ne demande qu’à se mettre à sa suite. La même panique saisit à Bologne le vieux Giovanni Bentivoglio au milieu de sa vaillante famille, au milieu de ses nombreux vassaux et soldats. Il se sauve dans le camp français du maréchal Chaumont, et la ville acclame avec frénésie le « pape libérateur. » Jules II entre à Bologne, l’antique Felsina, « comme un autre Jules César, » sur un char gigantesque et sous un dais de pourpre. Bien plus classique encore est l’ovation que lui font les Romains à son retour, quelques mois plus tard. L’arcus Domitiani sur le Corso (il existait encore alors) « est si splendidement décoré de statues et de tableaux, dit l’historiographe quasi officiel Albertini, que l’on croirait Domitien lui-même revenu pour triompher de nouveau. » Près du château d’Ange, le chêne doré des Rovere se dresse du milieu d’un globe, élevant ses branches jusqu’au sommet de Santa-Maria Transpontina, et du haut d’un quadrige attelé de chevaux

  1. L.-B. Alberti a déjà dit de la coupole de Brunellesco : Ampla da coprire con sua ombra tutti i populî toscani.