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traditions les plus augustes et dix fois séculaires de la chrétienté ; troubler le repos de Léon le Grand, de Grégoire le Grand, de Nicolas Ier et de tant d’autres héros de la foi ; toucher au tombeau de l’Apôtre ! .. Si infatué que fût l’humanisme de son mérite, de sa virtù, et si peu respectueux des âges précédens, — dès qu’ils n’étaient pas classiques et païens, — le projet ne laissa pas d’émouvoir profondément les esprits. Tout le sacré-collège se déclara contre, nous affirme Mignanti, qui a puisé aux sources authentiques : « Les cardinaux estimèrent qu’il serait bien difficile de trouver les sommes nécessaires pour une construction d’une pareille importance, puisque le puissant Constantin lui-même, avec toutes les ressources de l’empire, avait déjà eu de la peine à faire ériger sa basilique, bien modeste en comparaison de celle qui était maintenant projetée. De plus, la reconstruction détruirait une foule de souvenirs précieux et honorables, ce qui froisserait les sentimens pieux des fidèles et diminuerait leur zèle à visiter le sanctuaire… » — Dans le public, l’excitation au premier moment fut bien plus vive encore, et, pour la calmer, le pape dut faire déclarer qu’il ajournait le projet afin de mieux l’examiner. Dès le mois de novembre 1505 pourtant, il annonce déjà solennellement sa résolution bien arrêtée aux autorités de la ville de Milan et leur demande de contribuer à la grande œuvre par de larges dons d’argent.

Je sais bien que de nos jours, — mais de nos jours seulement, — on s’est avisé de ne voir en tout cela qu’une question purement technique. Le grand Léon Alberti, écrivant vers le milieu du XVe siècle, ne dit-il pas dans son traité de Re œdificatoria que l’église vaticane penchait du côté gauche d’une manière inquiétante ; et n’est-ce pas aussi ce que répète après lui, soixante ans plus tard, Sigismondo de Conti ? Nicolas V n’avait-il pas déjà projeté, au dire de son biographe Manetti, la réfection totale de Saint-Pierre ? Évidemment, l’édifice menaçait ruine de longtemps, et en ordonnant sa destruction, le Rovere n’a fait que céder à une nécessité devenue de plus en plus impérieuse… Pourquoi cependant aucun des contemporains n’insiste-t-il sur la prétendue nécessité ; pourquoi un argument aussi décisif n’est-il pas invoqué, en 1505, auprès les cardinaux récalcitrans ? Tous ceux qui, dans ces premiers temps, nous parlent de l’entreprise gigantesque de Jules II, — historiens, diplomates ou artistes, — tous sont unanimes à y voir l’effet d’une inspiration spontanée du pape, de son désir, très légitime à leurs yeux, de faire grand, de faire magnifique, più bello e più magnifico. Nicolas V a si peu songé à détruire le plus antique temple de la foi chrétienne à Rome, qu’il n’a