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pilastres, un athlète enchaîné, tantôt se tord convulsionné, frémissant, lançant au ciel un regard plein de reproche, et tantôt se penche affaissé et expire : les deux célèbres statues du Louvre, si improprement appelés les Esclaves, étaient du nombre. Ces athlètes enchaînés personnifient… les arts libéraux « devenus prisonniers de la mort, eux aussi » avec le décès du Rovere : leur grand bienfaiteur disparu, ils se désespèrent et meurent ! .. La partie au-dessus, haute de neuf pieds, nous élève vers un monde supérieur, vers des régions idéales et sereines. À l’encontre des Victoires et athlètes du soubassement, présentés tous debout dans des attitudes héroïques et pathétiques, les huit statues principales du second étage sont assises ou profondément recueillies : nous distinguons parmi elles Moïse, saint Paul, la Vie active, la Vie contemplative, peut-être aussi la Prudence et telle vertu allégorique : au milieu se dresse un grand sarcophage destiné à recevoir les restes mortels du pape. Tout en haut enfin, au sommet, Jules II est « tenu en suspens » par deux anges dont les expressions forment contraste : le génie de la Terre est triste et éploré de la perte que vient de faire le monde d’ici-bas, tandis que l’ange du Ciel se réjouit et s’enorgueillit d’introduire un nouvel hôte au séjour des bienheureux. Deux autres anges sont accroupis aux pieds du pontife… Vous n’avez encore là que les lignes générales de cette pyramide en marbre et à personnages célestes et terrestres. Ajoutez à cela des hermès, des putti, des masques disséminés partout et en abondance, une profusion aussi d’arabesques, de fleurs, de fruits, et d’autres ornemens architectoniques. Ajoutez, de plus, des travaux considérables en bronze : de larges rilievi aux scènes diverses, des plaques avec des inscriptions, des balustrades. En combinant les données de Condivi avec les indications du dessin des Uffizi, M. Heath Wilson[1] arrive au compte prodigieux de soixante-dix-huit statues, — soixante-dix-huit statues, la plupart de la taille du Moïse du San-Pietro-in-Vincoli et des Esclaves du Louvre : un Ossa de géans sur un Pélion de colosses !.. Sans doute, certains monumens tumulaires des pontifes du quattrocento, — ceux de Nicolas V et de Pie II entre autres, — nous ont déjà fait connaître les proportions toujours grandissantes des sépulcres jadis si modestes et si simples ; toutefois pour saisir la filiation de cette tombe en projet, il faut remonter le courant des siècles, nous reporter à l’ère des Césars, penser aux gigantesques mausolées de certains empereurs : ce mausolée d’Auguste, où s’ébat de nos jours tout un cirque ; ces Moles Hadriani où a trouvé place toute une forteresse…

  1. Life and Works of Michel Angelo, 2e édition ; Londres, 1881, p. 79.