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par une phase ingrate. Presque partout la politique se traîne péniblement, laborieusement, à travers toute sorte d’incohérences, de fermentations sociales, de conflits intimes, de crises parlementaires ou ministérielles. L’avenir, dans la plupart des pays de l’Europe, n’est pas clair. On ne sait pas trop où l’on va, et les réceptions du jour de l’an, qui ont été plus d’une fois l’occasion de discours retentissans, de manifestations significatives, ces réceptions se sont visiblement ressenties de l’incertitude universelle. On n’a rien dit, ou on a parlé à peu près pour ne rien dire : les complimens ont été courts ! Seul, assure-t-on, l’empereur Guillaume II aurait fait exception par une de ces impatiences d’autorité qu’il ne sait pas contenir contre les difficultés qui le gênent. Devant ses généraux réunis autour de lui, il aurait parlé d’un ton assez vif et assez hautain, — Mais qu’a-t-il dit réellement ? Ses paroles, sans être même connues avec précision, ont été commentées et exagérées. Tout se réduit sans doute à l’expression, plus ou moins accentuée, de la mauvaise humeur du souverain au sujet de l’opposition que rencontre jusque dans les rangs de l’armée le projet militaire livré en ce moment aux discussions du Reichstag.

Au fond, c’est de cela et ce n’est que de cela qu’il s’agit. Guillaume II a voulu peut-être saisir une occasion de manifester sa volonté devant des chefs militaires, dont quelques-uns, le comte Waldersée en tête, passent pour être les adversaires de la nouvelle réorganisation de l’armée ; il a tenu aussi sans doute à parler pour le dehors, pour le Reichstag, à ne pas laisser ignorer son intention de soutenir à outrance le chancelier de Caprivi dans la lutte qu’il poursuit pour la défense de la loi nouvelle. Il s’est engagé de sa personne dans la mêlée, au risque de tout compliquer ; mais l’empereur entend-il aller jusqu’au bout, jusqu’à une dissolution du Reichstag ? est-il résolu à renouveler la dangereuse lutte que M. de Bismarck a soutenue il y a bien des années, déjà, avec l’appui de l’empereur Guillaume Ier, pour le septennat ? C’est là précisément la question. Le fait est que jusqu’ici le Reichstag semble peu disposé à subir une loi qui, en compensation d’une réduction douteuse des années de service, commence par une augmentation sensible des effectifs de l’armée, par une aggravation des charges militaires. Le centre catholique ne cache pas son hostilité et ne se laisserait peut-être 4ésarmer que par des gages d’un ordre religieux, Les progressistes semblent très décidés contre la loi, et les socialistes le sont naturellement encore plus. Il n’y a pas jusqu’aux nationaux libéraux qui ne montrent de singulières hésitations, et cette opposition est d’autant plus sérieuse, d’autant plus dangereuse, qu’elle n’est visiblement que l’expression des résistances de l’opinion, surtout dans l’Allemagne du Sud, que la loi nouvelle se produit dans un moment où il y a dans le pays de profonds malaises, des agitations croissantes, des passions révolutionnaires toutes prêtes à exploiter