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sur lui l’avantage du rang, de la position sociale, de l’intelligence et de l’esprit, l’Européen, dit-il, s’estime au-dessus d’elle, en tant qu’homme, et le lui laisse entendre. Pareille idée ne viendra jamais à un Américain. Il parle à une femme comme il parlerait à un égal, avec plus de déférence dans la forme, choisissant de préférence les sujets qui la peuvent intéresser, mais les traitant ainsi qu’il le ferait avec un homme dont l’opinion aurait, à ses yeux, même valeur que la sienne. De son côté, la femme américaine ne s’attend pas à ce que son interlocuteur fasse tous les frais de l’entretien ; elle estime de son devoir d’être aimable, de converser et de plaire. S’agit-il d’attentions et d’égards, elle reprend les droits de son sexe. »

En fait, elle ne les abdique jamais et les exagère quelquefois ; et il y a un curieux rapprochement à faire entre les éloges souvent mérités que M. Bryce, tout Anglais qu’il soit, adresse aux femmes américaines et les critiques souvent acerbes des écrivains américains, non pour le plaisir de mettre en contradiction des observateurs d’égale bonne foi, mais pour noter, une fois de plus, l’un de ces traits caractéristiques qui forment on quelque sorte l’envers d’un caractère, par cela même qu’il est plus apparent, et qui a plus nui aux femmes américaines que ne l’eussent fait des défauts bien autrement sérieux.

Dans la North American Review du mois de septembre 1890, parut un article qui fit sensation aux États-Unis, autant par la compétence de l’auteur, M. O. Fay Adams, que par le titre choisi par lui : The Mannerless Sex, le « sexe impoli. » « Il s’agit des femmes, dit M. Adams, en débutant, et je sais d’avance que je vais à l’encontre de toutes les idées reçues ; mais qu’y puis-je, si ces idées reposent sur une base purement imaginaire ? Depuis trop longtemps l’on nous répète sous toutes les formes que la femme exerce, sur nos manières, une influence salutaire, que, par son exemple, elle les affine et les polit. Nombre de gens finissent par se rendre, en dépit de l’évidence. Les hommes le croient, ou affectent de le croire par galanterie ; quant aux femmes, elles en sont convaincues. »

Il n’en est absolument rien, aux États-Unis du moins, affirme l’auteur, et si les hommes, dans leurs rapports entre eux, adoptaient les manières des femmes hors de chez elles, leur égoïsme féroce et leurs allures déplaisantes, c’en serait tôt fait de la vie sociale. Et pour justifier ses assertions, M. Adams énumère un certain nombre de cas empruntés aux détails de la vie de chaque jour et il en déduit les conclusions suivantes : « 1o L’indifférence avec laquelle la femme subordonne à ses caprices les convenances d’autrui ; à noter surtout chez les jeunes. 2o La dédaigneuse tranquillité