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suis avare, reprend-elle, je le sais, mais l’amour de l’argent, que je pousse si loin, ne m’a jamais fait perdre de vue les intérêts de mon fils, au contraire. N’est-ce pas moi qui ai arraché aux Bonaparte cette pension de 6,000 francs, qu’on lui continue encore, et que l’on aurait déjà supprimée, n’était la crainte que leur inspire ce qu’ils appellent ma langue infernale ? N’est-ce pas grâce à moi qu’il a obtenu de sa tante, la princesse Borghèse, un legs de 20,000 francs ? »

On voit qu’Elizabeth Patterson professait une médiocre opinion des femmes américaines. Elle y revient dans une lettre du 17 octobre. Si ce mariage se fait, en dépit de ses résistances et de ses remontrances, elle exprime le désir que, du moins, Jérôme n’amène pas sa femme en Europe. « Ici, dit-elle, il est de notoriété publique que les Américaines qui nous arrivent tournent mal. » Mais à toute règle il est des exceptions, et si elle prise fort peu ses compatriotes, elle s’estime tout autrement : « Mon ambition, ma beauté, mon intelligence, n’ont jamais été dans leur cadre naturel en Amérique. Après mon mariage, il était évident pour tous ceux qui s’intéressaient à moi que ma vraie place était en Europe. Je ne pouvais vivre ailleurs. La Providence ne m’a pas départi la dose d’imbécillité et d’étroitesse d’esprit sans laquelle l’existence à Baltimore est impossible. Vous pensez bien que, si ce mariage se fait, jamais je ne retournerai en Amérique. Bien certainement je préférerai vivre parmi des étrangers. Ici, du moins, on me tient pour une femme de sens et de bon conseil. Là-bas, vous me considérez et me traitez comme une vieille folle, qui n’est bonne qu’à ravauder ses bas et à marmotter ses prières. Ici, l’on me consulte sur les affaires les plus délicates, sur les négociations les plus compliquées, et vous me jugez incapable de décider des choses qui me tiennent le plus à cœur. »

Sa haine contre les États-Unis n’a d’égale que sa passion pour l’Europe. « Heureux pays, dit-elle, où les femmes ne sont jamais traitées de vieilles folles ! » Sur ce thème, elle est éloquente. « Dans les cours d’Europe, écrit-elle à son père, les mots de vieux et de vieilles sont bannis du vocabulaire. Des femmes de quarante, de cinquante ans même se marient dans des conditions aussi avantageuses que de petites péronnelles de seize ans. J’en ai vu épouser des hommes de tout âge et même plus jeunes qu’elles. »

Florence, où elle vivait alors, était l’asile élégant des victimes de la coalition triomphante. Les grands événemens qui avaient une fois de plus bouleversé l’Europe, renversé un empire, rétabli une monarchie en France et des dynasties dépossédées en Italie, avaient aussi bouleversé bien des existences. Diplomates sans