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il est vrai, dans sa fameuse lettre à un disciple de Malebranche, parle du « grand combat qui se prépare contre l’Église sous le nom de philosophie cartésienne, » mais il ajoutera deux reprises, que les principes de Descartes sont, « à son avis, mal entendus. » Et les doctrines cartésiennes dont Bossuet parle ainsi étaient alors proscrites par les arrêts du Conseil du roi, et Bossuet occupait une position officielle. Pour directeur ordinaire du dauphin, c’est un cartésien que Bossuet choisit : Cordemoy. Il retient le cartésien Pourchot dans l’enseignement public « à cause du bien qu’il en espère. » Huet lui-même appelé pour venir en aide à l’éducation du dauphin, était alors cartésien. Des poésies du temps relèvent ironiquement cette contradiction : le cartésianisme proscrit par le roi et cependant chargé par ce même roi de l’éducation du dauphin. Le versificateur fait prédire par Descartes lui-même le triomphe final de sa doctrine :

Louis

M’en donne aujourd’hui sa parole,
Puisqu’il veut, grâce à Bossuet,
Grâce à l’incomparable Huet,
Que ce soit moi qui, par leur bouche,
Donne tous les jours quelque touche,
Pour de son fils faire un portrait
Qui nous montre un prince parfait.


Bossuet et Fénelon admettent toutes les preuves cartésiennes de l’existence de Dieu, qu’ils prétendent retrouver dans saint Augustin et dans saint Thomas, et dont ils ne saisissent pas toujours le côté original ; mais ils y joignent la preuve populaire et éminemment religieuse par les causes finales. Le cartésianisme perd ainsi, chez eux, sa puissance métaphysique. Ils n’en insistent pas moins, avec Descartes, sur l’idée du parfait et de l’infini ; eux aussi voient dans la perfection « non l’obstacle à l’être, » mais « la raison d’être. » À Descartes, d’ailleurs, remonte l’influence exercée en métaphysique par l’idée de l’infini.

Le vrai successeur du maître, c’est Malebranche. Descartes avait dit : nous ne sommes certains de l’existence des objets finis que par notre idée de l’infini. Faisant un pas de plus, Malebranche arrive à sa doctrine bien connue : nous voyons toutes choses en Dieu, et nous voyons Dieu ou l’infini en lui-même, par une vision intuitive, sans l’intermédiaire d’aucune idée. Platon et Descartes sont ainsi conciliés. « Le néant n’est point intelligible ou visible ; ne rien voir, c’est ne point voir ; ne rien penser, c’est ne point penser. » D’où il suit que, « tout ce que l’on voit clairement, directement, immédiatement, existe nécessairement. » C’est le principe de Descartes poussé à l’extrême, jusqu’à la complète identité du sujet et