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accueillit deux transfuges de la Comédie, Monvel et Julie Candeille. Tout ceci procédait en droite ligne de l’ordonnance de 1680, qui avait réuni les deux troupes de l’hôtel de Guénégaud, de l’hôtel de Bourgogne, et institué le monopole, un des fondemens de l’ancienne monarchie, un moyen de réaliser cette doctrine de l’unité, cette centralisation, qui devaient briser l’appareil féodal et écraser toutes les résistances. En fondant des théâtres-types, des théâtres-écoles, garantis contre la concurrence, Louis XIV voulait offrir à son peuple, à l’Europe, l’idéal tragique et musical ; mais parce qu’il fit litière de la liberté, il supprima pour l’avenir le plus grand levier d’activité intellectuelle et prépara la décadence de l’art dramatique. D’ailleurs, en dehors des argumens généraux puisés dans les entrailles mêmes de la royauté, les argumens particuliers et spécieux ne lui manquèrent pas : la concurrence, disait-on, loin d’entretenir l’émulation, excite les jalousies, les cabales, produit la pénurie des sujets, ruine beaucoup d’entreprises, pousse les auteurs à délaisser la grande littérature, fait éclore une foule de petites scènes qui cherchent le succès dans le scandale. Au XVIIIe siècle, les adversaires du privilège répondront : la concurrence est de droit, elle perfectionne les arts comme l’industrie, procure à bon marché la matière théâtrale, fait naître l’émulation des acteurs et des auteurs, propage le goût du théâtre : c’est à l’intérêt qu’il faut laisser le soin de modérer le nombre des spectacles. Cette seconde opinion devait triompher en 1791, mais comme on l’a remarqué justement, la Révolution ne s’occupa des théâtres que pour les affranchir, elle n’eut pas le temps de les organiser.


VII

Cent ans et plus, les auteurs[1], eux aussi, ont maille à partir avec les comédiens : déjà réduits à une sorte de domesticité vis-à-vis des princes ou des grands seigneurs qui les pensionnent, il faut encore qu’ils subissent les rebuffades, la morgue insolente, les dénis de justice de ceux qui acceptent leurs pièces à tort et à travers[2], les mettent parfois sur la paille, et rognent tant qu’ils peuvent sur leur part. Aussi quelle fureur concentrée, quelle haine vigoureuse des écrivains qui, comme Collé, se sentent, et se voient obligés cependant de ménager les premiers arbitres de leur

  1. Jules Bonnassies, la Comédie française et les auteurs de province ; les Auteurs dramatiques et les Théâtres de province. — Des Essarts, les Trois Théâtres de Paris.
  2. « Comment la comédie s’y prend-elle pour recevoir tant de mauvaises pièces ? demandait la reine à Lekain. — Madame, répondit-il, c’est le secret de la comédie. » — On publia une caricature où l’aréopage comique était figure sous l’aspect de bûches en coiffures et en perruques.