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pasteur insistait sur la nécessité du changement d’esprit, le pénitent se taisait, d’un profond silence : erat altum silentium. Il sentait qu’il ne pouvait changer son esprit ; il l’avouait ; il remerciait la Providence de lui avoir envoyé cette longue maladie qui l’avait forcé à réfléchir, mais il convenait qu’il ne se guérirait jamais de ses défauts, de son avarice surtout : « Je suis comme cela ; quand j’ai de l’argent, j’en veux avoir davantage ; c’est une vieille habitude ; je n’y puis résister. Je sens bien que, si je guérissais, je retomberais dans mes fautes passées, et c’est pourquoi je prie Dieu qu’il m’enlève de ce monde. »

Il avait choisi Potsdam pour lieu de sa mort. Après avoir fait aux pauvres de Berlin une grosse libéralité, il quitta cette ville le 27 avril 1740 : « Adieu, Berlin, dit-il, c’est à Potsdam que je veux mourir. » Le mal ne cessa d’empirer, et le patient, à qui des douleurs aiguës ne laissaient pas un moment de répit, se soulageait à son ordinaire par des violences. Un jour il souffleta son médecin Eller, et, comme celui-ci était sorti en déclarant qu’il ne reviendrait plus, le roi entra en une si violente colère qu’il fallut aller chercher la reine, qui le menaça de « le laisser pourrir dans ses ordures. »

Le 27 mai, au soir, il fit appeler les deux aumôniers de son régiment, Cochius et Oesfeld : « Hélas ! leur dit-il, je ne puis vivre ni mourir. Je vous ai fait venir pour que vous me disiez des prières ! » Cependant il plaida contre eux la cause de son salut par les mêmes argumens toujours ; à savoir que Dieu, qui l’avait comblé de ses grâces, lui donnerait certainement le paradis ; qu’à la vérité il n’avait pas témoigné à Dieu toute la gratitude qu’il devait, mais que l’homme était impuissant à reconnaître les bontés du Seigneur ; qu’il avait commis des péchés, qu’il était, par exemple, colère et emporté, mais que sa colère s’éteignait aussi vite qu’elle s’enflammait ; que, d’ailleurs, il y avait des péchés qu’il avait évités avec soin, comme l’adultère, et que toujours il avait vénéré le clergé et fréquenté les églises ; qu’enfin, s’il avait sujet de redouter une mort cruelle, il était assuré d’une mort bienheureuse, car il mettait toute sa confiance en Dieu et aux mérites de notre Sauveur. Mais M. Cochius était un homme austère, roide dans sa foi, et implacable en ses propos. Il avait réponse à tout, débusquait le malheureux de toutes ses excuses et de toutes ses espérances, et quand le roi s’y entêtait par trop, se taisait, et ce silence effrayait le moribond. Une seule fois, au cri : Ah ! je suis un méchant homme ! M. Cochius répondit par une approbation : « Sire, voilà un aveu qui m’édifie beaucoup ! » Il ne permit même pas au roi de dire qu’il était las de vivre et qu’il mourrait volontiers. Il le reprit en citant cette parole que « le chrétien sort de ce monde comme un homme