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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 283

« Je t’ai fait tel sacrifice, tu le passeras à mon crédit ; tu m’as accordé telle grâce, je la porte à mon débit. » Ce sont de drôles de gens que les saints ; à la fois austères et indulgens, il y a manière de les prendre ; ils ne sont point insensibles aux caresses, aux cajoleries, ils se laissent séduire et suborner. Elle a toujours préféré celui-là ; pouvait-il rien lui refuser ? « Pour te faire plaisir, lui a-t-elle dit, je marierai ma fille ; mais mon mari m’a insultée et je ne puis digérer cet affront. — Va, ma chère, a-t-il répondu, tu peux partir en sûreté de conscience, d’autant plus que ce gros homme ne croit pas en moi et que je n’ai point à me gêner avec lui. » Mais s’entendront-ils jusqu’au bout ? Lui sera-t-il toujours secourable ? Puisse son amant être un dissipateur, qui la mangera jusqu’aux os ! C’est le sort que je lui souhaite.

Je crus devoir lui représenter qu’après tout il ignorait encore dans quel dessein sa femme l’avait quitté. Était-il prouvé qu’elle fut allée rejoindre un amant ?

Il se posa de trois quarts et me dit : — Me prenez-vous pour un niais, mon cher Maximin ? Faites-moi l’amitié de croire que je la connais ; ne suis-je pas payé pour cela ? Cette femme orgueilleuse et superbe n’a pas de cœur, mais elle a une chair et des sens. Savez-vous quel est mon crime ? J’ai vingt-cinq ans de plus qu’elle ; ôtez-les-moi, elle serait encore à Mon-Désir. Et quand je vous dis que je souhaite que son amant soit un dissipateur, je le connais, cet amant. Elle est insaisissable, on n’est jamais sûr de rien avec elle ; mais je parierais ma tête à couper qu’un an avant votre arrivée, elle avait eu un commencement d’intrigue avec un grand jeune homme des environs, qui avait épousé une vieille douairière. Nous eûmes, M me Brogues et moi, une petite altercation à ce sujet ; elle m’enjôla, elle me prouva qu’il faisait jour la nuit. Ce gentillette a, depuis, perdu sa femme, et il a quitté la Champagne pour aller vivre dans je ne sais quel castel de la Gironde, qu’elle lui avait laissé en héritage. C’est là que M me Brogues, née de Gisvres, sera dès demain, et c’est lui qui possédera cette angélique créature. Entre eux deux et en réunissant leurs ressources, ils ne seront jamais que des riches malaisés. Un jour peut-être, pensera -t- elle avec quelque regret à ces maisons où l’on ne manque de rien, où l’on ne se refuse rien ; un jour peut-être, viendra-t-elle en mendiante frapper à une porte qui, je vous le jure, ne s’ouvrira pas. Elle aura beau dire : « C’est moi ! » Ces murs lui répondront : « Nous ne te connaissons point. » Mais ne pensez pas que je me propose de lui intenter une action en divorce ; c’est un plaisir que je me garderai de lui faire. Je ne croirai jamais qu’un honnête homme soit atteint dans son honneur parce qu’une femme désho-