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270 REVUE DES DEOX MONDES.

— Vous voilà donc, déserteur ! me cria gaîment M. Brogues. La mariée m’a chargée de vous dire que vous étiez un vilain monsieur.

— J’ai cru m’apercevoir, lui dis-je pour m’ excuser, que M me Isabelle m’aimait peu, et j’ai pensé lui être agréable en n’acceptant pas son invitation.

— Pourquoi ne vous aimerait-elle pas ? me dit Sidonie, qui n’était point insensible, je crois, aux complimens et aux caresses qu’affectait de lui prodiguer cette terrible Anglaise. Vous la calomniez, elle vaut mieux que sa réputation, je vous assure. Elle était fort bien aujourd’hui en dépit de ses cheveux blancs, j’ai été frappée de sa beauté. « Savez-vous qu’elle pourrait faire encore des conquêtes ? » ai-je dit à M. de Morane. — « Mademoiselle, m’a-t-il répondu, il en est de la beauté comme du poisson ; elle ne se conserve bien que dans la glace. »

— L’impertinent ! dit en riant M. Brogues. À qui adressait-il son épigramme, à elle ou à toi ?

— On me calomnie, moi aussi, répliqua-t-elle. Demandez à M. Tristan si je suis iroide avec les gens qui me plaisent et m’intéressent.

— Pour ma part, ce qui m’a frappé, reprit-il, c’est que ta sœur était charmante.

— Niquette fait de son visage tout ce qu’elle veut ; elle m’avait dit : « Je veux être très jolie le jour de mon mariage ; tu verras que je le serai. »

— C’est qu’elle était de belle humeur, lui dit son père. Je ne crois pas qu’elle ait une seule fois froncé le sourcil. Elle avait l’air d’un vaillant petit conscrit qui s’en va à la bataille en se jurant de ne pas avoir peur.

— Ce qui vous prouvera à quel point elle avait l’esprit présent, me dit Sidonie en se tournant vers moi, c’est qu’au moment où elle montait en voiture pour aller prendre le train, elle s’est souvenue qu’elle avait laissé sa chambre dans un affreux désordre. Elle a demandé qu’on n’y touchât pas jusqu’à son retour, qu’après avoir enlevé le perroquet, on fermât la porte à double tour et qu’on retirât la clé. « Je n’entends pas, m’a-t-elle dit, et ce fut son dernier mot, je n’entends pas qu’on fourrage dans mes affaires. » Vous reconnaissez son style, monsieur Tristan.

Je ne bronchai pas ; j’ai mes jours d’impudence.

— Vous pensez donc toujours à nous quitter ? me demanda M. Brogues. À la bonne heure ! Mais quand on a passé deux ans chez moi, on ne s’en va que pour revenir. Et tenez, j’ai l’intention de célébrer, dans deux mois d’ici, le retour de nos jeunes mariés, par une fête qui ne ressemblera à aucune autre, et bon gré