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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 269

chambre vide, d’où j’avais juré d’emporter des souvenirs, des reliques à mon goût. Je ramassai d’abord une petite mule en cuir rouge bordée de duvet de cygne, et je crus y sentir encore la chaleur de son pied. Où était l’autre ? Je la cherchai en vain. Je m’emparai ensuite d’un joli filet, dans lequel elle emprisonnait la nuit ses cheveux ; il en gardait l’odeur. À quelques pas de là, j’aperçus sur le bras d’un fauteuil un large ruban couleur d’héliotrope, qui le matin lui servait de ceinture très montante ; il n’était pas fripé, mais un peu fatigué par le long usage et pâli par le soleil ; et apparemment elle l’avait jugé indigne de faire avec elle un voyage de noces en Italie. Il me parut de bonne prise et de grand prix ; personne n’avait entendu de si près les batte mens de son cœur.

Je tirai du fond d’un buffet un carton où elle serrait ses aquarelles ; je n’eus que la peine de l’ouvrir pour trouver ce que je cherchais. Je lui avais dit un jour que tous les grands peintres avaient fait leur portrait, je l’avais engagée à faire le sien. Dès le lendemain, à la première heure, elle s’était assise devant son armoire à glace et avait pris ses pinceaux. Elle s’était représentée dans toute la fraîcheur d’un heureux réveil, le teint reposé, les cheveux ébouriffés, hurlupés, vêtue d’un peignoir de mousseline, qui laissait voir ses bras nus et la naissance de sa gorge. Ses yeux allongés semblaient dire : « Nous avons bien dormi cette nuit ; le monde a-t-il changé depuis hier ? » C’était sans contredit la meilleure de ses aquarelles. Ce portrait était si vivant, elle avait été en le peignant si curieuse d’elle-même et si audacieusement sincère, que, par pudeur, elle avait toujours refusé de nous le montrer. 11 se trouvait qu’elle l’avait peint pour moi.

Je m’enfuis, chargé de mon butin, que j’enfermai au fond d’une grande malle à demi faite qui devait partir avant peu pour Paris. Je fis bien de me hâter ; peu après, les domestiques rentrèrent. Je les entendais aller et venir et je n’étais pas sans inquiétude. Un homme qui vient de faire un coup a peur de «son ombre. Mais dans les jours de fête, les femmes de chambre ne s’occupent pas à chercher une pantoufle égarée, et les résilles disparaissent quelquefois sans que personne s’en aperçoive. Le fait est qu’on ne m’a jamais rien réclamé, que jamais on ne m’a demandé compte de mes larcins, non plus que des traces qu’avaient pu laisser mes lèvres sur un oreiller. Lequel des habitans de cette maison aurait été capable de s’imaginer que Maximin Tristan était un fou et un voleur ?

Les maîtres revinrent longtemps après leurs gens, assez avant dans la soirée, par une pluie d’orage accompagnée de quelques coups de tonnerre. Je descendis au salon pour les saluer ; je les trouvai prenant une tasse de thé.