Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

252 REVUE DES DEUX MONDES.

tarde pas à languir, parce qu’ils ne trouvent pas l’un dans l’autre de quoi se compléter.

— M. Monfrin, dit-elle, calmera la vivacité de Monique, et Monique dégourdira le flegme de M. Monfrin. La mélancolie de l’un, la gaîté de l’autre, formeront à la longue la plus heureuse des combinaisons. Elle est tout en dehors, il est tout en dedans ; elle lui enseignera à sortir de lui-même, il lui apprendra à rentrer en elle-même. Du reste, je puis donner à Niquette l’assurance que plus elle le connaîtra, plus elle découvrira en lui des mérites cachés. Il s’est fait industriel par déférence pour les volontés de sa mère ; mais je sais pertinemment qu’il a conservé un goût passionné pour les choses de l’esprit, qu’il leur consacre toutes ses heures de loisir, que la botanique est son étude favorite, qu’il a dans cette matière des vues originales, tout à fait neuves, que, darwinien convaincu, il voudrait réformer la classification des plantes, en l’accommodant aux idées nouvelles. J’ai réussi plus d’une fois à le faire causer, et il m’a avoué qu’il travaillait à un mémoire sur ce sujet, que l’un de ses amis, membre de l’Institut, présentera avant peu à l’Académie des Sciences.

En ce moment, je vis passer un sourire sur les lèvres de Monique. Elle se détacha de sa muraille et s’inclina devant Sidonie, comme pour la remercier de ses savoureuses révélations et de toutes les joies que lui promettaient la botanique et les mémoires savans de M. Monfrin.

M. Brogues reprit la parole et dit :

— Il y a pourtant dans cette affaire un point qui me préoccupe et m’inquiète. M me Monfrin a fait entendre à ta mère que Louis n’avait pas l’intention de la quitter, qu’après son mariage il continuerait de vivre avec elle. Cet arrangement m’agrée peu. J’estime qu’une jeune femme doit gouverner son ménage, se sentir maîtresse dans sa maison, que les partages de pouvoirs entraînent des difficultés, des zizanies, et qu’une belle-mère et une bru ne s’accordent longtemps qu’à la condition de ne pas se voir tous les jours. Gela est vrai en thèse générale, et c’est encore plus vrai dans l’espèce. M me Monfrin, quels que soient ses mérites, est une personne entière, un peu tyrannique, aimant à gouverner, qui entend que tout plie devant elle, que tout se fasse à sa guise. En conséquence, je suis très disposé à faire connaître à son fils ma façon de penser ; il entendra facilement raison. Rien ne l’empêche de laisser Beauregard à sa mère et de louer ou d’acheter un hôtel à Épernay. Je serai charmé de lui donner ma fille, mais je désire avant tout qu’elle soit heureuse.

M me Brogues se hâta de lui représenter qu’il n’obtiendrait pas satisfaction sur cet article, que s’obstiner équivaudrait à une rup-