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de terribles comptes à rendre au pays. Elle n’est point atteinte, si l’on veut, dans sa majorité, — cette majorité qui reste toujours saine, au dire d’un illustre parlementaire d’autrefois ; elle n’a pas moins reçu le contre-coup de ces soupçons de prévarications, de ces poursuites, de ces révélations qui frappent tout un régime. À part ces scandales qui l’ont jetée dans la confusion, elle n’a pu rien faire de bon ni de sérieux. Elle n’a pas pu même voter le budget, et elle aura de la chance désormais si elle réussit à sortir des douzièmes provisoires ou des budgets bâclés. Elle s’est perdue dans une réforme de l’impôt des boissons où elle a fini par ne plus se reconnaître. Elle s’est agitée sans profit, — et tout ce qu’elle a pu faire dans cette session extraordinaire, — bien extraordinaire de toute façon, — a été de retrouver à la dernière heure sa fougue protectionniste pour rejeter au pas de course un arrangement de commerce avec la Suisse, qui était un des actes les plus utiles, les plus prévoyans du gouvernement. Oh ! là le protectionnisme qui règne au Palais-Bourbon n’a pas perdu son sang-froid. Séance du matin, séance du soir, la chambre a tenu à se débarrasser sur l’heure de cette convention franco-suisse, sans s’inquiéter des suites d’une rupture avec la plus sérieuse et la plus sage des nations voisines.

C’était pourtant une affaire qui pouvait donner à réfléchir. Lorsque, dans un mouvement passionné et irrésistible de réaction protectionniste, on a voté, il y a bientôt un an, un tarif qui a été une vraie révolution dans nos rapports de commerce, on n’a pas voulu apparemment faire de ce tarif une sorte de dogme immuable ; on n’a pas pu vouloir surtout sacrifier à une question de douane les plus sérieux intérêts nationaux et politiques de la France, préparer, sous prétexte de protection, l’isolement d’une nation qui a régné jusqu’ici par l’expansion de ses arts et de ses industries. Le gouvernement n’avait fait après tout que s’inspirer de cette idée en ouvrant une négociation avec la Suisse pour régulariser, dans les conditions de la nouvelle politique commerciale, les relations des deux pays. Il avait obtenu quelques concessions, il en avait fait, — il en avait légalement le droit. Il en était résulté une sorte d’arrangement multiple, comprenant, non-seulement une réduction réciproque de tarifs, mais une convention littéraire, une convention spéciale sur le pays de Gex. C’est ce qu’on a appelé l’arrangement franco-suisse. Le gouvernement n’avait pas cru acheter trop cher, au prix d’une diminution légère des nouveaux tarifs, la garantie de la propriété littéraire et surtout la continuation ou la consécration nouvelle des rapports d’amitié séculaire de la France et de la Suisse. C’est justement cet arrangement que la chambre vient de rejeter par un vote sommaire, en refusant d’entrer dans une discussion détaillée, — et à dire vrai, mieux valait encore en finir d’un seul coup que de se livrer à un simulacre de discussion par un semblant de politesse envers