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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre.

De toutes ces années qui s’envolent et tourbillonnent derrière nous, combien en est-il qui aient mérité de garder une place privilégiée dans la mémoire de notre pays, d’être saluées à leur dernière heure d’un adieu sympathique et reconnaissant ? Elles se sont toutes enfuies, elles ont eu des fortunes différentes.

Il y en a dont rien ne peut effacer le souvenir, qui ont pesé et pèsent encore sur nous de tout le poids des grandes crises publiques. Il en est qui ont passé obscurément, sans laisser de traces, ou qui n’ont été marquées que par de vaines disputes sans profit et sans grandeur. Il y en a eu aussi, et il n’y a pas si longtemps encore, où on aurait pu croire que la France, lentement relevée de ses épreuves, allait voir luire de nouveaux destins et retrouver une vie nouvelle par les réconciliations intérieures, par l’éclat de ses arts et de ses industries, par la résurrection de sa puissance militaire, par sa position reconquise dans le monde. Il y a eu des années pour tout, pour le malheur et pour l’espérance, pour les illusions d’une confiance renaissante et pour les mécomptes, pour les confusions de la politique. Elles se sont succédé, elles ont disparu, laissant à leur dernière heure le souvenir plus ou moins durable de ce qu’elles avaient fait. Depuis longtemps, il faut l’avouer, on n’avait vu ce passage d’une année à l’autre s’accomplir dans les conditions de trouble, d’incohérence et d’avilissement où il s’accomplit aujourd’hui, à ce moment unique et mystérieux où 1892 disparaît devant cet énigmatique 1893 qui se lève. Jamais une année n’a plus mal fini et une année nouvelle n’a plus tristement commencé. Si ce n’était encore qu’une de ces crises violentes qui éclatent dans la vie d’un peuple à la suite de quelque conflit, d’un événement distinct et saisissable, ce ne serait rien, ou du moins ce ne serait peut-être qu’un mauvais moment à passer, un dangereux défilé à franchir ; mais c’est là justement ce qu’il y a de grave et de redoutable : cette