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Les femmes d’Athènes, pour abréger la guerre avec Sparte, jurent de ne pas accorder la moindre faveur à leurs maris ou à leurs amans, avant que la paix ne soit conclue, ou au moins promise. Elles tiennent leur serment et la paix est faite. Voilà toute la Lysistrata d’Aristophane. Sur ce thème, que je me permettrai de qualifier de stérile, M. Donnay a exécuté des variations de vaudeville et d’opérette. Le principal ressort comique en est une perpétuelle et peu décente allusion à l’amour abjuré, désiré, regretté, provoqué, ignoré ou goûté en cachette par les unes et les autres de ces dames, selon l’état d’âme de chacune et son tempérament. Chacune a sa manière de penser et de parler, mais toutes pensent à la même chose, parlent de la même chose et cette chose est celle que vous savez. M. Donnay s’est servi encore d’un autre procédé, qui n’est que l’application à la caricature, à la charge d’atelier, du précepte fameux : « Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. » Des Athéniens, par exemple, diront : filer à la Perse, au lieu de : filer à l’anglaise, qui déjà n’est pas irrésistible ; au lieu de : monter un bateau, qui peut-être vous laisse froid, monter une trirème, et cela constitue un moyen assez médiocre de provoquer un rire inférieur.

À la comédie d’Aristophane, M. Donnay a cousu encore, avec du fil blanc et un peu gros, une banale intrigue d’adultère entre Lysistrata et le stratège Agathos, qu’on appelle à tout moment « le brave général, » ce qui n’est peut-être pas d’un goût très pur. Et il m’a semblé aussi que M. Renan était mort depuis trop peu de jours pour qu’on le représentât, même sans le parodier, parmi les invités de l’hétaïre Salabacca.

Ne finissons pas cependant sans louer quelques couplets en vers d’un assez beau lyrisme, égarés dans cette prose ultra-leste, comme des notes de lyre ou de double flûte antique dans un concert de mirlitons.

L’interprétation de Lysistrata est plus que convenable pour les oreilles ; pour les yeux, un peu moins, les tuniques étant, comme les allusions, transparentes. Mme Réjane paraît descendre de l’Acropole moins que de Montmartre ; elle est d’ailleurs spirituelle à souhait. Mme Tessandier a la mollesse et l’indolence lassée d’une courtisane asiatique (c’est ainsi du moins que je me figure une courtisane asiatique) ; M. Guitry ressemble plaisamment à un Achille de pendule. La musique de M. Dutacq nous a charmé, la mise en scène est somptueuse, et le décor du troisième acte se colore des teintes fleur de pêcher que là-bas, au pays de beauté, répand sur le front des temples le premier rayon de soleil.


CAMILLE BELLAIGUE.