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Demailly nous apprenons deux choses ; il prépare une pièce pour le Gymnase et il aime une ingénue du même Gymnase, Mlle Marthe Mance. Il l’aime comme les jeunes gens se mettent aujourd’hui à aimer les actrices, au point de les épouser. Il l’épouse donc et voilà le premier acte.

Par malheur, artiste sur les planches, Marthe, dans la vie, n’est qu’une cabotine. Vide est sa jolie tête et dur son petit cœur. Au début cependant, elle paraît aimer son mari ; mais sottement, niaisement, surtout en comédienne : avec des mines de poupée, des gentillesses d’actrice et des grâces minaudières ; et puis, le tic professionnel possède cet esprit étroit, uniquement tendu vers le théâtre, vers « les rôles, » vers le rôle que Charles est en train d’écrire pour sa femme. Marthe n’est pas seulement sèche : elle est coquette et superstitieuse ; un miroir traîne toujours sur sa chaise longue, et Charles ayant par mégarde laissé tomber ce miroir, qui se brise, Marthe s’irrite, s’épouvante, et c’est le second acte. Il est court et insignifiant.

Au troisième acte, plus d’amour, Charles s’apercevant chaque jour davantage que sa femme est une pécore et une méchante pécore. Marthe, dans un accès de dépit, a refusé le fameux rôle, qui a cessé de lui plaire. Demailly le donnera donc à Mlle Ninette. Ici intervient Nachette, le vilain folliculaire aperçu au premier acte. C’est l’envieux, le traître, le Iago du journalisme, le Judas du premier-Paris. Il déteste Charles et veut le perdre. À cet effet, il excite la jalousie de Marthe en lui représentant le succès possible, probable même de Ninette. Alors la cabotine furieuse livre au journaliste des lettres intimes, où Charles traite sans indulgence la plupart de ses camarades ; Nachette lui-même s’y trouve qualifié de vieux singe. C’en est fait de la pièce de Demailly, si de telles lettres sont publiées.

Elles le seront au quatrième acte, lequel est le meilleur, parce qu’il donne une noble idée d’une noble institution : c’est le journalisme, oh ! bien entendu, certain journalisme, que je veux dire. Nous sommes dans les bureaux du Scandale ; le numéro de ce soir contiendra les lettres de Demailly, encadrées dans un article de Nachette. Mauvaise action, mais bonne affaire, comme dit le rédacteur en chef. Et pour atténuer l’action, sans gâter l’affaire, une note de la direction désavouera l’article ci-dessus et annoncera au public, en termes indignés, le renvoi de Nachette. Et cette étude, cette esquisse au moins des mœurs de la presse ne m’avait pas semblé dénuée d’intérêt. Elle m’avait donné une sensation pénible, mais assez puissante, de bassesse et d’ignominie. J’avais tort sans doute, car autour de moi les gens les mieux informés, les plus compétens, déclarèrent cette scène invraisemblable et poncive. Il parait que l’honneur de la presse ne fait plus question aujourd’hui.