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II. ELOPEMENT.


Mignonne, vous portiez une fierté d’archange
Au front d’enfant serti dans l’or de vos cheveux :
Vos grands yeux de velours se baissaient sous la frange
De cils longs, recourbés, fins, touffus et soyeux.
Pâle comme un beau marbre, indolente et sereine,
Vous aviez des bras et des épaules de reine,
Des pieds auxquels on rêve, et les plus nobles mains !
Quand vous passiez au bal, avec vos robes blanches,
Serrant étroitement la splendeur de vos hanches,
J’ai vu vous suivre au loin des yeux de souverains…
Hier, — je vous regardais, — en bas, dans la chapelle
Des comtes, vos aïeux. Vous étiez vraiment belle !
Jamais ange du ciel plus pur n’avait prié.
On me dit ce matin que vous êtes partie
Avec Dick, le second cocher de l’écurie :
Vous ne saviez donc pas que Dick est marié ?


III. PETITE CHANSON DU CŒUR.


Comme un lord de Rosslyn couché dans son armure[1],
Mon cœur dort maintenant de l’éternel sommeil.
Laissez-le reposer… À quelle source pure
Prendrez-vous l’onde fraîche à laver sa blessure ?
Voulez-vous faire encor couler son sang vermeil ?

Voulez-vous, pour savoir si la plaie est fermée,
Comme un enfant cruel y présenter le doigt ?
De nobles mains d’un baume exquis l’ont parfumée ;
L’office est dit des morts, la lampe est allumée :
Dans le caveau profond tout est tranquille et froid.

  1. Suivant une tradition bien connue, les lords de Rosslyn étaient enterrés revêtus de leur armure.