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Combien de discours anciens et modernes, qui valent surtout par les citations dont ils sont savamment saupoudrés ! L’auctoritas, c’est-à-dire la maxime consacrée, n’était pas considérée, en effet, au moyen âge comme un élément moins indispensable que l’anecdote. Il y avait donc sur le marché des dictionnaires « d’autorités » rédigés sur le même plan que les répertoires d’exemples. Alain de Lille et saint Antoine de Padoue avaient entrepris, dit-on, de dresser de ces « cahiers d’expressions » dès le XIIe siècle. On en a rédigé depuis sans relâche. Un théologien anglais, nommé Maurice, s’est fait connaître en composant sous le titre de « Distinctions, » ou de « Dictionnaire de l’Écriture sainte, » un bouquet de onze cent onze passages célèbres des livres saints avec des explications appropriées aux besoins de l’apologétique chrétienne. Que dire de l’Alphabetum in artem sermocinandi de Pierre de Tarentaise qui lut pape sous le nom d’Innocent V, lexique de textes et de commentaires rangés par ordre alphabétique de sujets ; et du Manipulus florum du sorbonniste Thomas d’Irlande, commencé par Jean de Galles, qui est un florilège d’apophtegmes de tous les moralistes célèbres, depuis saint Augustin jusqu’à Pierre de Blois ? L’ouvrage de Thomas d’Irlande ne rencontra de concurrence sérieuse que vers 1350 environ, époque où Pierre Bercheure, le traducteur de Tite-Live, arrangea un nouvel herbier de citations ou de fleurs séchées, avec des étiquettes et des références. Le Reductorium ou Repertorium morale utriusque Testamenti de Pierre Bercheure est, hélas ! un des principaux monumens de la littérature sacrée au XIVe siècle.

En résumé, notre clerc est entré en possession, moyennant quelques écus, de deux répertoires confortables, l’un de citations, l’autre « d’exemples. » Il a de quoi donner l’illusion de la science et de l’esprit. Mais sera-t-il abandonné à ses propres forces pour dessiner le plan de ses harangues ? Non, certes ; le canevas, comme la broderie, lui sera complaisamment fourni, s’il achète, pour achever de meubler sa bibliothèque, un recueil de Themata. — Il faut distinguer avec soin deux sortes de recueils de « thèmes » ou de modèles de sermons. Les uns ont été formés par des amateurs qui, s’étant amusés à prendre des notes lorsqu’ils avaient eu l’occasion d’entendre de bons discours, ont un jour mis au net leurs cahiers ; nous sommes ainsi redevables à Pierre de Limoges, l’auteur du traité jadis célèbre de l’Œil moral, l’un des premiers associés de la maison de Sorbonne, l’un de ces amateurs éclairés dont nous parlons, de la conservation de beaucoup de monumens originaux ; la majorité des sermons populaires du XIIIe siècle nous est arrivée par cette voie. D’autres sont de véritables traités d’homilétique, des formulaires rédigés systématiquement par des praticiens. Mais, parmi ceux-là, distinguons encore deux types : ou bien le