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libraire ; il s’y procurera, pour une somme modérée, taxée par les autorités de l’Université, les instrumens indispensables. Et il n’aura que l’embarras du choix, car la boutique en est pleine.

Il songera d’abord, je suppose, à se rendre acquéreur d’un recueil d’anecdotes, car il sait fort bien qu’au dire des experts, l’anecdote est le plus utile condiment du discours. Jacques de Vitri n’a-t-il pas dit et répété : « Employez beaucoup de proverbes, de traits d’histoire, d’exemples, surtout quand l’auditoire est fatigué. » Des « exemples, » notre clerc, s’il était érudit, aurait pu en extraire lui-même des Vitæ patrum, des Dialogues de saint Grégoire, du Dialogus miraculorum de Césaire d’Heisterbach, du livre de Valère Maxime et des légendes hagiographiques. Mais il n’est pas érudit, et ce qu’il cherche, c’est justement une compilation dont l’auteur ait fait à sa place les dépouillemens nécessaires. Si ledit auteur a joint aux exemples classiques des récits de son cru ou ramassés dans la tradition orale, l’ouvrage n’en vaudra que mieux. Or, de tels ouvrages ont été jadis de vente courante. Plusieurs, qui sont anonymes et d’un volume énorme, sont commodément disposés en forme de dictionnaire alphabétique, de sorte que l’on y trouve sous les mots abstinencia, amicitia, apostasia, avaricia, etc., de quoi illustrer un sermon sur n’importe quel sujet ; ils sont intitulés AIphabetum exemplorum ou Alphabetum narrationum ; l’un d’eux est attribué, peut-être gratuitement, à Etienne de Besançon, huitième général des dominicains. Ils sont restés en usage jusqu’au XVe siècle, qui vit paraître à Bâle un nouveau Promptuarium alphabétique d’exemples, celui d’Hérolt, dont on connaît trente-quatre éditions antérieures à l’an 1500. — Mais les libraires du moyen âge ne tenaient pas seulement des dictionnaires d’anecdotes, les Larousse de ce temps-là. Ils avaient aussi des répertoires méthodiques. Des sermons de Jacques de Vitri, on avait tiré, dans l’ordre des commémorations de l’année liturgique, de nombreuses collections d’exempla. Un dominicain, Etienne de Bourbon, avait réuni sous ce titre : Liber de septem donis Spiritus Sancti, quantité de narrations édifiantes à propos des sept dons mystiques du Saint-Esprit : crainte de Dieu, piété, science, force[1], etc. ; Etienne était un homme simple et sans talent, mais il avait beaucoup connu l’illustre cardinal de Vitri, beaucoup vu et beaucoup retenu ; presque tous ses exempla ont une saveur originale et ne se retrouvent pas ailleurs. Un anonyme, que d’aucuns croient être le général des dominicains Humbert de Romans, l’a imité ; mais en l’imitant il l’a dépassé, parce que la nature

  1. On a de l’ouvrage d’Etienne une édition partielle : Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du recueil inédit d’Etienne de Bourbon ; Paris, 1887, 1 vol. in-8o.