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leurs acharnés concurrens, les ordres révolutionnaires de Saint-François et de Saint-Dominique. Le cistercien Élinand, le cluniste Barthélemi, l’abbé Jean de Saint-Victor, furent, sous Philippe-Auguste et pendant la régence de Blanche de Castille, les plus recommandables des beaux esprits surannés. Mais leur filet d’eau claire s’est perdu bientôt dans le remous d’affluens plus puissans. Vers 1240, il a disparu. Barthélemi de Gluni, symboliste déjà travaillé d’appétits quodlibéliques, meurt en 1236 ; Élinand, le trouvère converti, l’amant mystique de la Vierge, l’admirateur de Perse, de Juvénal et de Térence, en 1237. À cette date, les quelques clercs séculiers qui avaient oscillé entre la vieille mode et la nouvelle, au cours des années de transition, ont vécu. Etienne Langton, archevêque de Cantorbéry, succomba dès 1228 ; de l’Italien Prévostin, chancelier de l’église de Paris en 1206, on n’entend plus parler après 1231 ; un autre chancelier de la même église, l’un des meilleurs poètes lyriques d’un siècle qui n’en a guère produit, Philippe de Grève, passa en même temps qu’Élinand. Encore Etienne Langton, Prévostin, Philippe de Grève, ne se rattachent-ils guère à l’école de saint Bernard que par la constante gravité de leur langage, leurs subtilités antithétiques et leur habitude de « moraliser » les Écritures. Sacras scripturas, dit Bale, en parlant d’Etienne Langton, quam superstitiose per allegorisationes et moralisationes exposuit. Mais le style de Langton est déjà négligé, brusque, non périodique ; Prévostin a déjà plus d’entrain que de raffinement, et, comme Philippe de Grève, il fut, hors de la chaire, dans ses livres, un adepte éminent des théories scolastiques. — En somme, les infiltrations de l’art du XIIe siècle dans celui du XIIIe ont été peu durables et presque inappréciables. Je sais que le nimbe de saint Bernard n’a jamais sensiblement pâli, et que, après 1240, Jacques de Vitri, Eudes de Châteauroux, Albert le Grand, furent encore, de leur propre aveu, illuminés de ses reflets, mais ce phénomène isolé ne tire pas à conséquence : malgré leur respect pour une gloire consacrée à l’égal de celle des pères apostoliques, quels hommes ont été jamais plus complètement « de leur temps » qu’Albert le Grand, Eudes de Châteauroux, Jacques de Vitri ?

Le second courant, le courant dialectique, est sans comparaison plus fort. Il traverse toute l’éloquence savante, proprement cléricale, jusqu’au règne de Philippe le Bel. Il est sombre, glacé, et pour en reconnaître les vertus, il faut en faire une analyse très minutieuse : « Au XIIIe siècle, dit un docteur de Sorbonne, Ellies Dupin, qui vivait au XVIIe, les sermons étaient pleins de divisions, de distinctions continuelles. Il est rare qu’on y trouve quelques points de morale développés dans toute leur étendue, mis dans