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langue universelle du clergé. C’est ainsi que nous avons, sous un uniforme habit latin, les homélies catalanes de Raymond Lull, les homélies allemandes de Jean Tauler, les homélies françaises de Jacques de Vitri. Quant aux textes farcis, dont la barbarie choque les puristes, ils ont aussi une raison d’être. D’une part, certains latiniseurs de sermons ont cru bon de gloser quelques expressions latines par les expressions françaises correspondantes ; ou bien, embarrassés pour transposer les idiotismes, les proverbes de la langue vulgaire, ils les ont insérés tels quels dans le cadre de leurs phrases latines ; ils suggéraient de la sorte à ceux de leurs confrères qui auraient à se servir en chaire de leurs thèmes oratoires, le mot propre, technique, qui ne leur serait peut-être pas venu opportunément à l’esprit. D’autre part, nombre de sermons macaroniques sont des brouillons écrits au courant de la plume, ou bien des sténographies hâtives, prises au vol par un clerc, au pied de la chaire d’un improvisateur ; ce clerc ne s’est pas gêné pour bigarrer son rapport de mots français et de mots latins, afin d’aller plus vite. Dans des notes rapides, ou à l’état de glose systématique, le mélange des idiomes, le jargon hybride de nos manuscrits est parfaitement légitime ; il aurait été déplacé, pour ne pas dire plus, sur les lèvres d’un orateur.

En résumé, les sermons latins du moyen âge sont de deux sortes : « Autre, dit Jacques de Vitri, est la prédication qui s’adresse aux clercs, autre celle qui s’adresse aux laïques. Lorsque nous parlons dans les couvens et les assemblées de savans, en langue latine, nous pouvons dire beaucoup de choses, parce que nous ne sommes pas obligés de descendre aux explications minutieuses ; mais avec les laïques (en langue vulgaire), il faut mettre les points sur les i, pour que la parole sacrée soit pour eux claire et lucide comme la pierre d’escarboucle. » — Les sermons pour les clercs, non-seulement rédigés, mais prononcés en latin, seront les plus corrects, les plus élégans, les plus doctes, les plus intéressans au triple point de vue de la littérature, de la philosophie et de la théologie. Les autres, « rapportés » directement par un auditeur, en jargon mi-parti, ou bien traduits à loisir et d’un bout à l’autre en langue cléricale, seront plus vivans, plus familiers, plus récréatifs ; l’historien les préférera ; mais c’est à peine s’ils ont droit de cité parmi les monumens de la littérature latine : — « Ma fille, écrivait Adam de Perseigne à Blanche, comtesse de Champagne, vous me demandez de faire transcrire mes sermons et de vous les envoyer. Je le ferais si vous pouviez comprendre par vous-même le latin de ces homélies ; mais vous vous les ferez traduire. Sachez-le donc, ma fille : il est difficile que la pensée conserve sous une traduction, dans un