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France et en Allemagne, MM. B. Hauréau et Wattenbach, ont réuni autour d’eux si peu de disciples. La liste des écrits latins du moyen âge est encore bien loin d’être complètement établie ; la plupart des manuscrits sont mal datés, mal publiés, déguisés sous de fausses attributions. Le chantier des fouilles est encore tout encombré d’échafaudages. Il n’en est pas moins vrai, toutefois, que les résultats obtenus sont dès à présent considérables, et que, en dépit de la méfiance traditionnelle, le travail, dans cette section particulière de l’histoire littéraire, est largement rémunéré. Quelques noms seulement affleuraient naguère à la surface du sol, ceux d’Abailard, de saint Bernard, de Thomas d’Aquin, de Bonaventure : l’œuvre de ces grands hommes et de beaucoup d’autres, comparables aux plus illustres d’époques mieux connues, les Gautier de Châtillon, les Hugues de Saint-Victor, les Hildebert de Lavardin, a été habilement dégagée ; déjà se dessinent des écoles, des périodes, des filiations. Certaines régions qui ont eu l’heureuse fortune d’attirer de bonne heure l’attention ont même reparu presque intégralement à la lumière. C’est dans une de ces régions bien éclairées, d’accès commode, désormais convenables, comme quelques quartiers déblayés de Pompéi, pour des promenades d’antiquaires et de touristes, que nous nous proposons de conduire le lecteur.


I

L’attention a été attirée de bonne heure sur les sermons du moyen âge, bien qu’il fût nécessaire d’aller chercher les plus intéressans dans des manuscrits très hérissés d’abréviations, parce que ce sont des documens précieux pour l’histoire des mœurs et pour celle des fables populaires. Les anecdotes dont la plupart foisonnent, si vivantes, si typiques, sont des matériaux de choix que recueillent avidement le sociologue et le folkloriste. Aussi les livres des savans qui ont étudié les monumens de l’ancienne éloquence sacrée sont-ils tous divisés en trois parties : les prédicateurs, les sermons, la société d’après les sermons. De ces trois parties, la troisième est traitée d’ordinaire avec un soin particulier. Nous nous contenterons, nous, de parler ici des deux autres, qui sont seules certainement comprises dans la province de l’histoire littéraire.

Des centaines, des milliers de sermons en latin se sont conservés dans des recueils manuscrits du XIIe, du XIIIe et du XIVe siècle. C’est là un fait qui paraît très étonnant à la réflexion, et qu’il convient, avant tout, d’expliquer.

Il n’est pas aisé de comprendre, en effet, que notre première littérature parénétique soit en latin. On prêche, en général, pour être entendu. Or nous savons de source certaine que les ouailles