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d’un cafedgi, à l’ombre d’une vigne ou d’un figuier, Kharalambos entrait parfois, pour faire sa prière, dans des églises peintes et fleuries, où flottait une odeur de cire, et où souriait, parmi les verts et les rouges de l’iconostase, le visage mince et penché de la Panaghia.

À Tholo-Potami, un couple de braves villageois, Nicétas et sa femme Calliope, m’ont donné, pour de l’argent, leur meilleure chambre. Les murs et le plafond sont badigeonnés de fresques barbares. Un coffre vert, une abondante collection de paniers aux formes diverses, des chaises où moisissent des Évangiles et des Bibles, sont épars dans la vaste salle. C’est dans cet ameublement que je reçois le principal personnage du lieu, l’instituteur, natif de Silivri en Roumélie, ancien drogman et homme à tout faire sur les paquebots du commerce, débordant d’impressions et de souvenirs, qu’il a recueillis à Saigon, Singapour, Java, Ceylan.

À Elata, mon hôte Loukis est un pauvre vieux, d’intelligence courte et de parole lente, un peu résigné et morne dans ses larges braies noires, sous son haut bonnet rouge, que l’usure a pâli et tourné au rose. Il n’est jamais sorti de l’île et parle de la Grèce comme d’un pays lointain, presque irréel… Il en parle d’ailleurs sans passion et sans tendresse. Si Chio recouvre jamais sa liberté, ce n’est pas à Loukis qu’elle le devra. Quand l’animal humain est attaché depuis longtemps, il s’accoutume à sa niche et ne tire même plus sur sa chaîne. Loukis a une peur horrible des autorités turques. Le pauvre homme n’est pas tranquille : le moudir de Nénita lui a fait dire par un zaptié de venir au konak. Il se méfie. J’ai toutes les peines du monde à calmer ses inquiétudes, assis près de lui, devant un plat de pilaf et d’œufs durs. Et Kharalambos fait trembler Loukis, sa femme, ses enfans, plus un vieux médecin de Céphalonie qui s’est joint à nous on ne sait pourquoi, en disant brusquement, sans préambule, de sa voix féroce et saccadée :

— Eh bien ? Ces Tares, quand est-ce que vous les jetez à l’eau ?

À Olympi, je suis entré dans une maison où un jeune homme venait de mourir. Les démogérontes, les notables, un grand nombre d’amis s’étaient réunis chez les parens pour leur dire des paroles douces. Cette coutume, à laquelle on ne manque jamais chez les Grecs, s’appelle la parigoria, la consolation. Dans une petite cour carrée, auprès d’une vieille femme qui pleurait, les visiteurs étaient attablés, et causaient à voix basse, en mangeant, dans des plats de terre brune, des poissons noyés d’huile.

Dans tout le « pays du mastic, » il n’est pas de village plus beau que Pyrghi. Avec sa grosse tour carrée, crénelée en queues d’aronde, ses maisons grises, rugueuses, rébarbatives comme les