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Des archimandrites se confessèrent aux curés. On put croire à un accord possible entre l’église romaine et le schisme de Photius. Un jour, l’évêque latin officia au monastère de Néa-Moni, et les moines lui servirent la messe. Les comptes rendus des Missions des îles, pour les années 1619, 1635, 1636, 1637, insistent à plaisir sur cette trêve. La catholicité dut à ce persévérant travail de propagande quelques années de répit et comme une renaissance de sa suprématie dans le Levant. À Chio seulement, elle fonda ou occupa, pendant cette période, plus de quatre-vingts églises.

Cette apparence de concorde n’était, pour les Grecs, qu’un jeu et qu’un rôle. Ils ménageaient à leurs rivaux un tour de leur façon et se montrèrent supérieurs aux Jésuites par leur habileté à se débarrasser de leurs ennemis. Ils trouvèrent le moyen, dans la même occasion, de payer leurs dettes. Voici comment : la communauté grecque de Chio devait quelque argent à plusieurs fonctionnaires de la Porte. Elle fit croire à ces puissans seigneurs qu’elle les paierait sur l’heure, si les revenus de l’Église latine lui étaient livrés. Il fut alors décidé par le divan : que la juridiction de l’évêque latin passerait aux mains de l’évêque grec ; — qu’aucune consécration d’église, aucune ordination de prêtres, aucun mariage n’auraient lieu qu’avec l’autorisation de l’évêque grec ; — que les églises des Latins seraient, comme nous disons aujourd’hui, « désaffectées ; » — que l’évêque latin rendrait compte à l’évêque grec des revenus et des dépenses de son administration, et qu’après les restitutions exigées, il sortirait de l’île.

Ce n’est pas tout. Il arriva, en 1694, que l’amiral vénitien Antonio Zeno parut dans les eaux de Chio avec une escadre, et débarqua ses matelots qui prirent la ville sans peine. Les familles italiennes de l’île, les Grimaldi, les Fornetti et ce qui restait des Justiniani, écrivirent une lettre de félicitations à l’amiral de la sérénissime république. Cette lettre tomba, on ne sait comment, entre les mains des Grecs, qui la firent voir aux Turcs. Le sultan Ahmed fut saisi d’une colère terrible. Il avait alors à son service un renégat écumeur de mers dont on ne sait pas le véritable nom et qui était connu, dans tout le Levant, sous le sobriquet de Mezzomorto. Il lâcha ce corsaire sur les Vénitiens et sur les Latins de Chio. Antonio Zeno rencontra les Turcs à la hauteur des Spaldamores, se battit quelque temps et dut quitter la partie. C’est par une série d’aventures, ainsi préparées par la subtilité des Grecs, que l’île de Chio cessa d’appartenir à la domination spirituelle de l’Église romaine. Si le culte catholique ne disparut pas totalement de l’île, c’est que l’ambassadeur de France intervint en faveur des Latins poursuivis et fugitifs, et que le consul français fit aménager