L’ensemble de la peinture n’y perd rien en vérité, elle y gagne en souplesse et, à cette estime et à ce respect près pour certains financiers, que Lesage a relégués avec malice dans sa Critique, la lecture de Turcaret nous jette dans le même tumulte de sentimens que les partisans de La Bruyère : « Ils nous font sentir toutes les passions l’une après l’autre : l’on commence par le mépris à cause de leur obscurité ; on les envie ensuite, on les hait, on les craint, on les estime quelquefois et on les respecte ; l’on vit assez pour finir à leur égard par la compassion. » C’est en effet avec de la compassion, ou quelque chose d’approchant, que nous apprenons que Turcaret a été emporté vers une maison de sûreté, dans un fiacre, ce « corbillard du spéculateur, » selon le mot de Mercadet.
Turcaret eut sept représentations, dans sa nouveauté, comme on disait alors. La modestie de ce chiffre ne saurait se passer de commentaires, surtout après ce que nous avons dit sur la conformité de cette satire des traitans avec le sentiment public à leur endroit. Depuis les bourgeois du parterre jusqu’aux gentilshommes des loges et de la scène, les spectateurs n’eussent-ils pas dû être à peu près unanimes à porter aux nues la pièce et l’auteur ? Il semble pourtant qu’il n’en fut rien. On s’est beaucoup plus étonné du fait, qu’on n’a cherché à en donner une explication satisfaisante.
Audiffret, le consciencieux biographe de Lesage, après avoir cité, à son tour, l’ordre officiel de jouer Turcaret, ajoute : « La rigueur du mémorable hiver de 1709 retarda encore, jusqu’au 14 février, la première représentation de cette comédie, qui fut interrompue après la septième, parce que la continuité du froid excessif obligea de fermer les spectacles. » C’est une erreur. On lit sur le registre de la Comédie, à la date du samedi 12 janvier 1709 : « Le froid excessif qu’il fit hier et le peu de monde qui vint à la Comédie mirent dans la nécessité de fermer le théâtre, » et à la date du 23 janvier : « La continuation du grand froid et les voyages de Versailles ont obligé de donner relâche au théâtre depuis le lundi 14 jusqu’à aujourd’hui. » Mais à partir du 23 janvier, le théâtre rouvrit, pour ne plus fermer. Or, la première de Turcaret eut lieu, le 14 février, avec une recette tout à fait extraordinaire de 2,320 livres, et la septième et dernière le 1er mars, avec une recette de 653 livres 4 sols. La rigueur de l’hiver ne peut donc pas être rendue responsable du prétendu insuccès de Turcaret. D’ailleurs, le dégel eut