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fourberies des prêteurs à la petite semaine, renouvelées d’Harpagon, et que les rois même de la finance n’avaient jamais dédaigné de faire pratiquer par leurs hommes de paille, par leurs Rafles de tout acabit.

Quant au peuple, il reportait sur les partisans sa rancune séculaire contre la brutalité et les coquineries de la perception des impôts qui s’opérait, alors plus que jamais, par voie de doubles frais, de forcemens arbitraires, etc., et surtout contre l’assiette de quelques-uns d’entre eux, de la gabelle par exemple, si vexatoire, qu’une famille n’ayant pas épuisé son lot de sel de table, ne pouvait, sans une procédure nouvelle, employer le surplus à saler son lard. Dès lors, l’impopularité des traitans se résumait dans l’expression formidable de « sangsues d’état…, sangsues du peuple, » qui courait partout, que nous trouvons sous la plume de Vauban, comme dans le Beauchêne et le Théâtre de la foire de Lesage, et qui, retentissant encore à la fin du siècle devant la Convention, dans la bouche de Bourdon de l’Oise, sera un arrêt de mort pour trente-deux fermiers-généraux, parmi lesquels on a la douleur de compter Lavoisier.

Ainsi s’amassait contre les traitans, dès le début du siècle et dans toutes les classes de la société, un trésor de haine. Mais avant de faire explosion dans Turcaret, cette haine, croissant avec la détresse publique, avait grondé dans des pamphlets fort curieux. Interrogeons-les, car Lesage les avait certainement lus. Ils auraient même suffi à lui donner le ton et à lui offrir de vivans modèles pour son héros, à défaut de ses observations personnelles et de sa rancune légendaire contre les gens de finance.


II

Le plus curieux de tous ces libelles a pour titre : Nouvelle école publique des finances ou l’Art de voler sans ailes, et sa seconde édition, corrigée et augmentée, porte la rubrique de Cologne et la date de 1708. Il est donc exactement contemporain de la conception de Turcaret et traduit les mêmes sentimens publics sur les financiers. On y dénonce pêle-mêle à l’indignation des Français cette « poignée de canailles qui cause les malheurs de millions d’âmes : » les Choppin, les Thévenin, les Lacourt, les Rousselin, les Masson, les Farcy, les Desbuttes, les Taillefert de Soligny, etc., etc. On en comptait quatre cents. Mais faisons l’honneur d’une mention spéciale à quelques-uns d’entre eux : à Deschiens qui avait établi le papier timbré, si odieux qu’on s’en servit à