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que, si le besoin de bras a été la cause première de l’amélioration des conditions dans lesquelles ces bras lurent employés, ce ne fut pas la cause unique. Une fois le mouvement commencé, il dut continuer par sa seule force ; les serfs, qui voyaient leurs voisins s’enrichir, en labourant un sol qu’ils avaient reçu ingrat et qu’ils avaient fait productif, furent amenés à exiger de leurs maîtres le même traitement ; et les maîtres durent l’accorder de leur plein gré, par le seul souci de leur revenu, qui leur fit craindre, s’ils refusaient, d’être abandonnés de leurs hommes.

Ils s’arrangèrent pour profiter eux aussi de l’affranchissement, en se réservant certains droits (droits féodaux), en imposant certaines restrictions. C’est le secret de ce contrat : les deux parties ont estimé y avoir avantage, comme dans tous les contrats possibles. Il y eut aussi des degrés dans cette transformation : tel individu est libre pour moitié et, pour moitié, serf de l’évêché (1409) ; il y eut des tentatives de retour en arrière, tout au moins des temps d’arrêt : tel chapitre, en Champagne, constate la diminution de ses hommes de corps (1361) « causée par le nombre trop grand des affranchissemens accordés. »

Il faut tenir compte, sans vouloir plaider la cause de ces temps reculés, que le droit de l’homme sur l’homme, restreint ou absolu, étendu ou mitigé, est le droit commun du moyen âge : des nobles même sont l’objet de transactions commerciales, comme les serfs. Un seigneur en engage à un autre. On acquiert, dans le sud-ouest, pour quatre-vingts sous, une albergue de « trois chevaliers, trois écuyers et deux setiers d’avoine. » Le dauphin de Viennois exerçait, vis-à-vis d’un certain nombre de vassaux nobles, hommes-liges, le droit de mainmorte : il héritait d’eux, jusqu’au milieu du XIVe siècle, quand ils ne laissaient pas de descendans directs. Le chapitre de Soissons jouit du même droit, et en outre de celui de formariage (défense de se marier hors le domaine) sur le chevalier de Chelles. Les chanoines réduisent sensiblement leurs prétentions sur ce vassal (1189), à la condition expresse que « chacun de ses descendans mâles, âgé de trente ans, non impotent, sera chevalier, et que chacune de ses filles avant l’âge de vingt-cinq ans devra épouser un chevalier, s’il n’y a empêchement manifeste. » Sa postérité, pour un motif quelconque, viendrait-elle à tomber en villenage, les avantages stipulés disparaîtraient. Si ce chapitre tient à conserver ainsi ses vassaux dans leur condition noble, c’est-à-dire militaire, c’est dans une vue d’intérêt, tout simplement, pour qu’ils lui rendent des services militaires à défaut de services financiers.

Le seigneur regimbe seulement contre l’idée de n’en tirer aucun parti, ni d’une façon ni d’une autre. Aussi est-ce un vrai privilège que celui qui est confirmé aux habitans d’Eymet, en Périgord (1519),