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domination romaine, — beaucoup de chartes de 1100 et 1200, que l’on a prises longtemps pour leurs actes de naissance, n’étant que des actes de confirmation, — les communes continuèrent à être « instituées, » fortifiées et augmentées en nombre jusqu’aux XVe et XVIe siècles. Le mouvement communaliste se poursuivit durant quatre cents ans, parallèlement au mouvement d’abolition du servage ; comme il lui est antérieur, il est vraisemblable qu’il exerça sur lui quelque influence, que le voisinage de gens, qui n’étaient ni seigneurs ni serfs, dut faire concevoir aux laboureurs de la plaine l’idée de jouir d’une condition analogue. Mais, de la conception de ce désir à sa réalisation, il y avait un abime : cet abîme, comment ont-ils pu le franchir ?

Quand Charles VII accordait à Langres les mêmes privilèges que saint Louis avait concédés à Paris : « que toute personne, de quelque état, condition ou servitude qu’elle soit, qui aura demeuré en ladite ville de Langres un an et un jour, sans être poursuivie ou réclamée par son seigneur, y demeure franc-bourgeois, excepte les sujets de Châteauvillain et Grancey.., » il est fort possible que ces derniers, ainsi exclus de la licence, soient les seuls qui auraient eu intérêt à en profiter, les seuls peut-être qui, dans les environs, ne soient pas encore affranchis. Il ne faut pas s’imaginer que jamais personne ait fait de bonne volonté le sacrifice de son bien, et que les seigneurs n’aient pas pris leurs précautions contre les menaces de dépossession que contenait, à leur égard, la création d’un centre d’affranchissement à proximité de leur donjon.

Admettre que le servage ait été aboli, comme on l’a dit quelquefois, parce que les serfs, devenus riches, se firent à eux-mêmes un pont d’or pour passer à la condition d’hommes libres, que l’aisance de la caste esclave ait été la cause, ou même l’une des causes premières de l’affranchissement, cette opinion est peu soutenable. Beaucoup de « manumissions, » ou libérations, se firent, il est vrai, pour de l’argent, donné au propriétaire, soit par l’individu, soit par la collectivité qui était l’objet de cette mesure favorable ; mais cet argent même payait-il l’affranchissement ou bien la terre, dont la concession est faite simultanément au mainmortable de la veille ? Les gens de l’abbaye de Saint-Seine appartenaient à leurs maîtres, corps et biens, pécules et enfans ; ils étaient assujettis aux tailles et aux corvées « à merci. » En 1323, ils s’affranchissent, moyennant paiement de 6,000 livres ; mais ils ne deviennent pas seulement libres alors, ils deviennent propriétaires. Est-ce la liberté ou la propriété qu’ils ont achetée ? L’abbaye ne conserve que la dîme « au treizième, » c’est-à-dire une redevance très minime : personne aujourd’hui ne donnerait un domaine (labour, prairie ou bois) pour le treizième du produit brut.