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mainmorte moyennant une taille annuelle de 5 sous et la dîme « à la onzième gerbe. »

Avec les temps modernes, le servage, là même où il ne fut pas aboli en principe, devint si doux qu’on le sentit à peine. Dans un aveu de la baronnie de Fins (Berry), rendu en 1773, figure encore « le droit de suite aux hommes et femmes partant de ladite terre, et allant habiter ès chastellenies,.. » dont suit la nomenclature. Mais il est vraisemblable que cette entrave imposée à l’émigration par le seigneur féodal, qui craignait toujours de voir sa terre se dépeupler, n’existe plus que pour la forme, lorsqu’un édit de Louis XVI, en 1779, la déclare « éteinte et supprimée dans tout son royaume, dès que le serf ou mainmortable aura acquis un véritable domicile dans un lieu franc. » De même le préambule philosophique de cet édit nous fait l’effet d’enfoncer une porte ouverte, quand il fait dire au roi que : « Constamment occupé de tout ce qui peut intéresser le bonheur de nos peuples,.. nous n’avons pu voir sans peine les restes de servitude qui subsistent dans plusieurs de nos provinces ; nous avons été affectés de ce qu’un grand nombre de nos sujets, servilement encore attachés à la glèbe, sont regardés comme en faisant partie… » Deux ans avant la Révolution, en 1787, dans un « Mémoire pour l’affranchissement de 23 communautés de serfs, appartenant à l’abbaye de Luxeuil » (Franche-Comté), les serfs se plaignent si peu du servage qu’ils réclament contre l’affranchissement qu’on veut leur imposer au prix d’une modique somme !

Quant au vaste mouvement d’abolition du servage, datant de la fin du XIIIe siècle, le lecteur, qui veut bien y reconnaître un phénomène presque exclusivement économique, où il est puéril de chercher des intentions charitables, des influences religieuses, est en droit de demander la cause de cette évolution. Quel choc ou quelle alliance d’intérêts lui a donné naissance ? La politique y a-t-elle joué un rôle ? Peut-être, mais bien effacé, et, en tout cas, indirect.

Écartons d’abord le banal édit de Louis le Hutin (1315), si souvent cité et mal interprété, où le monarque promulgue que, « selon le droit de nature, chacun doit naître franc,.. et que, pour rendre la chose accordante au nom, il veut que la franchise soit accordée à de bonnes conditions à ceux de ses sujets tombés en l’état de servitude… » Si cet édit avait eu la portée que certains historiens lui ont attribuée, ce roi, en le signant, eût fait l’acte le plus révolutionnaire qui se pût imaginer à l’époque. Il eût sapé dans sa base l’organisation rurale du pays, violé la propriété, qui se composait à la fois du sol et des hommes.

Nous savons au contraire que le règne de Louis X lut une période de réaction féodale, que personne mieux que lui ne respecta les prérogatives des grands feudataires, et celles de ses petits vassaux