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roturier à leur seigneur, d’où est issu notre moderne droit de mutation, était un progrès que durent souhaiter longtemps les déshérités du moyen âge, un abonnement qui ne prenait qu’une partie au lieu du tout.

Le pur socialiste, en supprimant la propriété héréditaire et en faisant de notre seigneur l’État l’héritier universel de chacun de nous, rétablirait donc aujourd’hui, sous une forme rajeunie, la mainmorte du XIIe siècle. Un autre tempérament à la rigueur de la dépossession féodale, ce fut le chevage. Les serfs « de la condition du cheval » ne paient aucune redevance durant leur vie, et le seigneur leur succède seulement quand ils meurent sans héritiers directs. Parfois on allège le joug davantage : l’abbaye de Saint-Nicolas, dans l’Aisne, concède à ses « hommes et femmes de corps » (1402), moyennant une rente de 5 livres, le droit de se succéder entre eux et aux personnes de condition libre ; cela, pour empêcher que les terres ne deviennent incultes, que ces endroits ne soient abandonnés par les tenanciers, pour aller en habiter d’autres où leur situation serait meilleure.


II

Nous touchons ici à la cause économique qui adoucit d’abord et fit disparaître ensuite le servage : le besoin de bras. La disproportion de l’étendue du sol avec le nombre des habitans était telle, au XIIe siècle, que la terre n’avait pas par elle-même un prix réel et certain. Le propriétaire qui n’aurait possédé que le fonds, sans les hommes nécessaires pour le mettre ou le maintenir en valeur, se serait vu à la tête d’une terre en friche, par conséquent eût été absolument gueux. Les serfs étaient donc partie intégrante de la fortune foncière.

Quand, comment et pourquoi cet état de choses fit-il place à un autre tout différent, où le seigneur perdit à la fois sa terre et ses hommes et ne conserva plus qu’une rente ; état aussi préjudiciable au propriétaire que le précédent lui était avantageux, et si avantageux au contraire au paysan, que les communistes n’en pourraient guère concevoir pour lui un plus favorable, et que, pour faire jouir le laboureur du XIXe siècle des prérogatives qui ont été bénévolement accordées au serf affranchi du XIVe siècle, il faudrait procéder à une révolution agraire, auprès de laquelle les changemens politiques et sociaux de 1789 et 1793 ont été peu de chose ?

Quelle a été la date de l’abolition du servage et surtout quels ont été les motifs de l’affranchissement ? L’histoire ne paraît pas les avoir nettement définis. Que cet affranchissement ait été un grand acte de justice, accompli libéralement et, qui plus est,