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froid. Sous le rapport de la danse, on ne trouve pas réalisés à Bayreuth les perfectionnemens merveilleux apportés aux autres élémens du théâtre musical. Même après Wagner, la réforme de la danse, dans ses rapports avec le drame, reste à accomplir.

Dans les deux premiers actes de Tannhäuser, l’inspiration mélodique, — sauf le chœur des pèlerins, — n’est pas à la hauteur de la création poétique ; mais le troisième acte tout entier me paraît un chef-d’œuvre au point de vue musical.

Dès l’ouverture du rideau, nous sommes pris par la vie du drame. Dans un site automnal d’une mélancolique poésie, Élisabeth et Wolfram attendent le retour de Tannhäuser, qui est allé à Rome en pèlerinage pour implorer l’absolution papale.

Les pèlerins arrivent et font retentir la campagne de leurs joyeux hosannas ! Élisabeth les compte avec angoisse : Tannhäuser n’est pas avec eux ! Rien n’est émouvant comme cet hymne de pèlerins au troisième acte. Au premier acte, où la même mélodie chorale se produit presque identique, elle ne cause pas à beaucoup près la même impression. C’est qu’au troisième acte elle a une signification dramatique qu’elle n’avait pas au premier. Là elle est en relation directe avec l’action ; elle exprime l’ivresse religieuse des pèlerins qui reviennent de Rome « pardonnés. » Seul, Tannhäuser a été excepté de la clémence divine, et sa condamnation est un coup de mort pour Élisabeth, qui n’a plus qu’un espoir : aller au ciel intercéder pour le maudit. C’est alors, tandis qu’elle s’élève vers les hautes sphères, que Wolfram chante la romance de l’Étoile, ce chef-d’œuvre incomparable de poésie. Tannhäuser arrive enfin désespéré, l’œil hagard. Il raconte son voyage à Rome, son repentir, ses prières, le refus inflexible auquel il s’est heurté. C’en est fait, puisque le monde l’a frappé d’anathème, il retourne au Vénusberg ! Aussitôt, dans des vapeurs transparentes éclairées d’une lueur rose, la déesse de l’amour apparaît, souriant à Tannhäuser qui lui tend les bras. En vain Wolfram veut détourner son ami du chemin de la damnation éternelle, Tannhäuser le repousse, il va s’élancer… À ce moment, on entend un chant religieux : c’est le cortège funèbre d’Élisabeth qui s’approche. L’intervention de la sainte a obtenu le pardon du pécheur ; l’enfer est vaincu, le mirage de perdition s’évanouit : Tannhäuser meurt, mais il est sauvé !

Jamais l’idée de la lutte du bien et du mal, — selon l’esprit du moyen âge et de la légende, — n’a été révélée par le théâtre d’une manière aussi foudroyante qu’à l’instant où le chant sacré du cortège d’Élisabeth chasse l’apparition de Vénus. À ce moment du drame, la même commotion qui foudroie Tannhäuser et déracine