Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le fait à interpréter. Ainsi le sujet entend simplement un coup, une sorte de détonation, ou bien un tic-tac, un bruit de vaisselle brisée. Parfois aussi des phénomènes mieux définis viennent encore s’ajouter à ceux-ci.

Ce qui accompagne presque toujours l’hallucination télépathique, c’est une vive émotion, le sentiment de l’arrivée d’un événement triste, souvent la croyance à la mort d’un ami ou d’un parent. Cette émotion, remarquons-le, n’est pas, dans bien des cas, en rapport logique avec la nature de la vision, elle n’est en rapport qu’avec l’impression inconsciente. Sans doute, il arrive que l’hallucination reproduise la mort de l’ami qu’on a perdu ; mais cela ne paraît pas le cas le plus fréquent. Souvent le sujet croit seulement voir le mort lui apparaître sans que rien dans la vision, si ce n’est la vision même, semble justifier un pressentiment funèbre. On a pu le remarquer dans un grand nombre des cas que j’ai cités : à M. N. I. S., son ami M. F. L. apparaît, « habillé comme d’habitude, » il fixe sur lui son regard et s’en va. Il n’y a là rien de particulièrement effrayant. Pourtant « N. I. S. se cita à lui-même les paroles de Job : — « Et un esprit passa devant moi et le poil de ma chair se hérissa. » — À ce moment, un froid glacial le traversa et ses cheveux se dressèrent. » — Puis il se tourna vers sa femme en lui demandant l’heure qu’il était : « Neuf heures moins douze minutes, » répondit-elle ; sur quoi il lui dit : « Je vous demandais l’heure, parce que F. L… est mort. Je viens de le voir. » Elle tâcha de lui persuader que c’était une imagination, mais il lui assura positivement qu’aucun argument ne pourrait changer son opinion[1].

Rien de plus fréquent que ce contraste de la vision même et de l’émotion qu’elle semble inspirer, de la terreur intense qui l’accompagne. Et cette émotion est peut-être aussi forte lorsque l’hallucination semble n’avoir aucune signification, lorsqu’elle se borne à l’audition d’un bruit indistinct ou d’un tic-tac de montre. Bien plus, elle se produit quelquefois sans aucune hallucination, et ceci achève de nous convaincre que ce n’est pas l’hallucination même qui est cause de l’émotion, mais que l’hallucination d’un côté, l’émotion de l’autre, sont également suggérées par une impression inconsciente, elles sont des conséquences tirées par l’esprit, d’un même fait qui, en lui-même, reste toujours assez obscur. « Le 16 mars 1874, dit Mlle Martyn, de Long-Melford-Bechery-Suffolk, j’étais encore toute seule dans le salon, plongée dans la lecture d’un livre intéressant. Je me sentais tout à fait bien, lorsque

  1. Les Hallucinations télépathiques, p. 232.