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ne reconnaît pas la personne à laquelle se rapporte son hallucination, parfois il se trompe et la prend pour une autre, parfois il reste dans le doute. M. Wingfield, dont j’ai cité le cas tout à l’heure, hésitait à reconnaître son frère. La reconnaissance peut être encore moins nette. Mlle Isnard croit voir passer un fantôme : — « En voyant cette ombre, dit-elle, j’avais pensé immédiatement à ma mère, non que j’eusse été frappée par une ressemblance déterminée, mais j’avais senti comme un lien mystérieux entre elle et cette apparition[1]. » — Ici, visiblement, l’esprit est, pour ainsi dire, excité de deux côtés à la fois par l’impression inconsciente ; d’un côté, une image se produit, une vision dont l’objet n’est pas reconnu en lui-même ; d’un autre côté, une sorte d’émotion pénible, un pressentiment et une idée. L’esprit réunit et associe tout cela, mais la fusion reste impossible, et, en tout cas, ne s’est pas opérée spontanément et sans hésitation.

Parfois en rêve, pendant que le dormeur se pose un problème et reste impuissant à le résoudre, un personnage imaginaire arrive et en donne la solution. Si le rêveur se trompe dans une opération, dans une traduction, un autre le reprend et lui corrige ses erreurs. C’est bien dans les deux cas le même esprit qui s’aide ou se reprend lui-même ; cependant, à cause de la dualité et de la dissemblance de ses propres opérations, il les attribue à deux personnes différentes. Il y a en lui quelque chose qui sait faire le problème ou rectifier une opération et quelque chose qui en est incapable. Si c’est cette dernière partie de l’esprit, qui, pour une raison ou pour une autre, paraît surtout au rêveur faire partie de son moi, être sa personnalité même, l’autre apparaîtra comme une étrangère, et toujours, pour l’expliquer, elle sera rattachée à une autre personnalité, créée, au besoin, pour la circonstance. Même phénomène dans les hallucinations télépathiques, et, par exemple, dans ce songe raconté par un ami de M. Romanes, membre de la Société royale de Londres : « J’eus, dit-il, un rêve très intense qui me fit une grande impression, si bien que j’en parlai à ma femme à mon réveil ; je craignais que nous ne reçussions de mauvaises nouvelles sous peu. Je m’imaginai que j’étais assis dans le salon, près d’une table, en train de lire, quand une vieille dame parut tout à coup, assise de l’autre côté, près de la table. Elle ne parla ni ne remua, mais me regarda fixement, et je la regardai de même pendant vingt minutes au moins. Je fus très frappé de son aspect : elle avait des cheveux blancs, des sourcils très noirs et un regard pénétrant. Je ne la reconnus pas du tout et je pensai que c’était une étrangère. Mon

  1. Annales des sciences psychiques, 1891, p. 195.