l’organisation de ce nouvel empire qui est aujourd’hui une charge et le trop fidèle miroir de l’anarchie de la métropole ; tâche de première conséquence, parce que la question sociale et la question coloniale sont les deux données inséparables d’un même problème ; tous les esprits réfléchis en aperçoivent l’intime corrélation ; les colonies peuvent seules nous fournir la soupape de sûreté indispensable pour nos besoins économiques, pour l’élimination et l’emploi utile de nos élémens perturbateurs. — La tâche sociale ; non plus des lois de circonstance, loques de hasard cousues sur un vêtement hors d’usage ; mais la refonte raisonnée du code Napoléon, monument admirable pour l’époque dont il servit les besoins, insuffisant pour notre époque dont il ne pouvait prévoir les transformations radicales ; ce code ne répond plus aux exigences de notre vie sociale, organisée sur d’autres bases par l’avènement de la démocratie, le développement du crédit, la grande industrie, les grandes inventions ; institué pour protéger la propriété, il attend son complément indispensable, le code protecteur du travail ; hérissé de formalités qui rendent difficiles aux petits tous les actes qu’il faudrait leur faciliter, il s’oppose à la simplification et à l’accélération de la justice, aux réformes que demandait déjà Gambetta, il y a douze ans, dans son discours de Belleville. — La tâche pacificatrice enfin, la clôture des luttes religieuses ; l’heure presse, si l’on veut mettre à profit la modération et le bon vouloir d’un pape de génie, qui a l’intelligence du possible chez nous ; un pouvoir juste doit concilier l’exercice de la liberté vraiment nécessaire, la liberté de penser, et le respect dû à la foi du plus grand nombre, à la tradition nationale, à la tradition de tout le monde civilisé. Je dis le respect, je ne dis pas la tolérance : ce mot n’est pas français dans cette acception ; on ne tolère qu’un mal ; personne ne soutiendra que la religion soit un mal. Je ne prétends point que cette dernière tâche soit facile ; à la tenter, on peut être vaincu ; mais qui craindra de l’aborder n’aura ni le crédit ni l’estime nécessaires pour gouverner ; c’est le pas difficile, c’est donc le pas qu’il faut franchir d’abord pour faire juger toute la suite de la marche. C’est l’épreuve où amis et ennemis guettent l’homme de cœur, celui qui ne fuira plus devant les orages, qui inspirera confiance aux autres parce qu’il aura confiance en soi. — j’ai toujours admiré le mot profond que les Juifs adressaient au Christ, quand il faisait acte d’autorité dans le Temple : Quod signum ostendis nobis quia hœc facis ? — Quel signe nous montrez-vous pour intervenir dans nos affaires ? — Ils ne disaient pas : quel droit ? mais : quel miracle, quel signe de la mission ? comme l’on demande à un officier son brevet avant de lui obéir. C’est le dernier mot de la politique humaine. Les hommes n’exigent plus de miracles ; ils demandent
Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/926
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.