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se sachant prêt, d’accord avec M. de Moltke et M. de Roon, il a pris sur lui d’engager par l’altération d’une dépêche le roi Guillaume plus que le roi lui-même ne se croyait engagé. D’une dépêche que M, de Moltke trouvait trop molle et trop pacifique, une « chamade, » le chandelier avait fait une « fanfare : » le tour était joué !

Que M. de Caprivi, dans des explications récentes devant le Reichstag, ait cru devoir relever cet incident désormais historique et en affaiblir la portée ; qu’il ait essayé surtout d’accentuer l’initiative du roi Guillaume dans des événemens d’où allait sortir l’empire allemand et diminuer la responsabilité de M. de Bismarck par la production de deux dépêches différentes qui font quelque confusion, c’est peut-être de la politique, ce n’est pas le point essentiel. M. de Caprivi, le chancelier d’aujourd’hui sous Guillaume II, explique à sa manière l’acte du chancelier de 1870. C’est fort bien, mais le chancelier de 1870 est là qui accepte et revendique la responsabilité de l’acte qu’il a accompli. On a l’aveu du coupable qui reconnaît le fait et l’intention, qui confesse sa supercherie, comme un coup de tactique nécessaire, qui se désigne lui-même comme le premier auteur d’une guerre à laquelle l’Allemagne doit son unité, mais dont le poids retombe sur l’Europe et dont les conséquences sont encore loin d’être épuisées. Il en convient, comme tous les grands joueurs, il reste dans l’histoire responsable du sang qui a été versé et du sang qui peut couler encore. Il n’y met pas, du reste, tant de façons ; il ne craint pas de déclarer que, s’il n’avait pas eu le prétexte de la dépêche d’Ems, il en aurait trouvé un autre pour hâter la guerre qu’il désirait, pour mettre « l’Allemagne en selle, » comme il l’a dit si souvent. On pourrait maintenant se demander pourquoi M. de Bismarck s’est laissé aller à ces derniers aveux. Est-ce la forfanterie sénile d’un homme qui, après avoir eu un si grand pouvoir, ne peut se consoler de sa disgrâce et se venge par des indiscrétions bavardes ? L’ancien chancelier, par un calcul plus raffiné, a-t-il voulu rappeler au jeune Guillaume II que, seul, il avait fait l’empire, que s’il n’y avait eu que le grand-père Guillaume Ier le petit-fils ne porterait peut-être pas aujourd’hui la couronne impériale ? Ce ne serait pas la première fois qu’il aurait mis son orgueil à rehausser son rôle au détriment de celui qu’il a si souvent appelé son « vieux maître. » Il l’avait déjà fait après la guerre de 1866, en se moquant des scrupules qui, jusqu’au dernier moment, avaient arrêté le vieux roi. L’explication, dans tous les cas, ne laisserait pas d’être caractéristique et elle peindrait l’homme.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que le vieux solitaire de Varzin et de Friedrichsruhe ne laisse échapper aucune occasion d’accabler ou d’aiguillonner ses successeurs, de les accuser dans tout ce qu’ils font, dans leur politique extérieure comme dans leur politique intérieure. S’il ne va