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contribué, sinon à créer, du moins à laisser s’aggraver cette situation. Comment le gouvernement aurait-il pu détourner ou atténuer le mal ? Ce n’était plus, il faut l’avouer, bien facile au point où l’on était arrivé. Il aurait pu, dans tous les cas, avoir une influence utile en ayant une opinion et une volonté, en exerçant avec fermeté et avec à-propos son autorité. — Oui, s’il avait eu une autorité ; mais c’est là justement la question. S’il y a une chose évidente, au contraire, c’est que le ministère, qui était déjà sorti diminué des dernières crises de l’automne, n’a fait que s’amoindrir encore à travers les incidens qui se sont succédé depuis, en ne sachant ni maintenir les droits du gouvernement, ni sauvegarder les garanties libérales partout où elles sont méconnues et offensées par de ridicules agitateurs. Voilà le mal !

Au moment où a éclaté cette triste débâcle de Panama, qui a été à sa manière une autre explosion de dynamite, le ministère était engagé dans une longue et confuse discussion sur une petite loi de la presse, un projet qui traîne depuis plus de six mois. Par elle-même la loi n’était rien ou presque rien ; le seul point délicat était dans le droit d’arrestation préventive que le gouvernement réclamait à l’égard des anarchistes qui passent leur vie à prodiguer les excitations au meurtre, au pillage, et qui abusent de toutes les ressources de la procédure pour continuer leurs délits en toute liberté. Au fond la loi comptait à peine ; c’était, à côté ou à propos de la loi, une interpellation où il s’agissait de la politique tout entière du gouvernement, de ses faiblesses, de sa direction, de ce qu’on était décidé à faire pour la sécurité morale et matérielle du pays après le cruel et meurtrier attentat de la rue des Bons-Enfans. Certes, la discussion a été longue, animée, brillante, quoique passablement décousue, quoiqu’on eût l’air parfois de jouer aux propos interrompus. M. le comte de Mun, avec une vigoureuse et saisissante éloquence, M. Clausel de Coussergues, M. Aynard, M. Paul Deschanel, avec autant de finesse que de raison, ont décrit la situation présente dans sa triste et inquiétante vérité. Les radicaux ont fait leurs plaidoyers pour la liberté de la presse, comme si la liberté de la presse était en péril, — et ont parlé du Syllabus ! M. le président du conseil, enfin, M. Loubet, pris entre tous les feux, s’est défendu avec animation, avec beaucoup de bonnes paroles, non sans habileté, mais sans se compromettre par des déclarations trop décisives avec les modérés ou les radicaux. Au bout du compte, M. le président du conseil, qui avait engagé son existence ministérielle dans ce débat, a obtenu comme suprême victoire que la chambre, au lieu de repousser dédaigneusement la loi du premier coup, passât à la discussion des articles. C’était ce qu’il voulait, le ministère était sauvé pour l’instant ! Malheureusement il n’était sauvé qu’à demi, et il ne triomphait que jusqu’au lendemain. La chambre a bien voté la loi, mais avec un amendement qui en altère l’esprit et en détruit l’efficacité. Le vote